lundi 22 mars 2010

LE FRONT COMMUN NE POURRA PAS FAIRE L'ÉCONOMIE DE LA LUTTE

Par Robert Luxley

Quelques jours avant le dépôt du budget du gouvernement à l’Assemblée nationale, le Front commun des syndicats des secteurs public et parapublic a appelé à une grande manifestation nationale dans les rues de Montréal afin d’appuyer ses revendications dans le cadre des négociations pour renouveler les conventions collectives.

Comptant sans doute sur la force du nombre de ce Front commun historique (il réuni 475 000 travailleuses et travailleurs), les syndicats disent depuis le début des négociations rechercher un règlement négocié et satisfaisant avant le 31 mars 2010, soit l’échéance du décret tenant lieu présentement de convention. Devant une telle déclaration de bonne foi des syndicats, le gouvernement ne pouvait faire autrement que de se déclarer à son tour intéressé par le même objectif.

Cependant le gouvernement ne fait rien pour que cela se concrétise. Malgré, les reculs considérables qu’il avait déjà imposés par décret la dernière fois, tant sur le plan de la rémunération que des conditions de travail, il ne propose rien pour renverser la situation. Invoquant le mauvais état des finances publiques, il formule encore une fois des demandes de reculs importants pour les syndiquées-és.

Or, le déficit budgétaire actuel du gouvernement est un nouveau déficit et est essentiellement le fait de sa participation au sauvetage des banques et des grands monopoles industriels par les divers gouvernements, fédéral et provincial, qui ne se sont pas gênés d’investir des dizaines et des dizaines de milliards pour les sortir de leur crise financière et économique. Alors que l’État a guéri le système financier, c’est lui qui est maintenant malade. Les marchés financiers qui sont désormais sauvés et qui empochent à nouveau des profits mirobolants, obligent maintenant les États à des efforts budgétaires extrêmes pour rembourser leurs dettes, en imposant des reculs majeurs dans les droits sociaux conquis depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale.

Le gouvernement du Québec a annoncé d’emblée son intention de réduire ses dépenses et de couper près d’un milliard $ dans son prochain budget. On assiste aussi actuellement à une offensive idéologique dans les médias pour faire croire que le gouvernement n’a pas d’argent et pour préparer l’opinion publique non seulement à accepter de payer pour les largesses qu’il a eu pour les banques et les grandes compagnies durant la crise financière et économique, mais aussi pour la dresser contre les revendications des travailleuses et travailleurs du secteur public. C’est dans ce contexte que se situe par exemple les récentes sorties publiques de Lucien Bouchard ou la sortie récente du rapport du groupe de travail sur la tarification des services publics, composé de néo-conservateurs bien connus (Montmarquette, Facal et Lachapelle).

Le gouvernement a répliqué à la demande syndicale de hausse salariale de 11,25% sur trois ans par un 5% sur 5 ans, ce qui implique une perte de pouvoir d’achat de 8,4% pour les travailleuses et les travailleurs. Le gouvernement a même proposé des reculs important au chapitre de la retraite, en augmentant les pénalités en cas de retraite anticipée et en interdisant la retraite avant 55 ans d’âge. Il s’attaque aussi aux banques-maladie et au régime d’assurance-salaire en cas de maladie, la coupure annoncée équivalant à une réduction de salaire de 2% par année.

Le 10 mars dernier, la FSSS de la CSN rapporte qu’à leur table sectorielle, le comité patronal de négociation a même eu « le culot de nous déposer une demande visant à lui faciliter l’utilisation de ressources en provenance du secteur privé, allant même à l’encontre du discours et de l’orientation du ministre Bolduc et de son ministère. » La FSSS déclare par conséquent que « le doute commence à s’installer sur l’honnêteté de la démarche patronale

Dans une telle situation, on peut comprendre que les syndicats aient raison de pousser la négociation jusqu’au bout, mais un obtenir un règlement satisfaisant aux alentours du 31 mars sans livrer bataille tient de l’utopie.

Le Front commun doit livrer bataille.

Ce Front commun représente actuellement le potentiel de riposte aux attaques de la bourgeoisie le plus grand à s’être développer jusqu’à présent au Canada dans le cadre de la crise économique. Les organisations syndicales du Front commun représentent près d’un demi-million de travailleuses et de travailleurs. Comme l’écrivait dans le Devoir du 17 mars 2010 Jacques Rouillard (Professeur à l'Université de Montréal et auteur de l'ouvrage Le Syndicalisme québécois. Deux siècles d'histoire, Boréal, 2004), en ajoutant aux employés des secteurs public et parapublic tout le secteur péripublic (sociétés d'État, Hydro-Québec, universités, secteur collégial), où sont reprises les politiques de rémunération gouvernementales qui influencent également la négociation dans le secteur municipal, c'est environ 20 % de toute la main-d’œuvre du Québec qui sera touchée directement ou indirectement par la négociation du Front commun. En considérant en plus les familles de ces personnes, cette négociation aura un impact direct sur le niveau de vie de plus du tiers, voire même la moitié de la population du Québec.

D’autre part, dans un contexte de crise économique, comme le disait à l’époque le dirigeant de l’Internationale syndicale rouge, Alexandre Losovsky, ce sont justement les ouvriers des entreprises d’utilité publiques qui « doivent se trouver au premier rang des combattants, luttant contre la tactique bourgeoise de la baisse, pour consolider les positions acquises ». Le succès de cette lutte pourrait enfin remettre la classe ouvrière du Québec, et même du Canada, sur la voie de l’offensive alors qu’elle est sur la défensive depuis plusieurs années.

Encore une fois Jacques Rouillard a écrit que « les résultats de ces négociations ont également des répercussions sur le secteur privé. Des études d'économistes au début des années 1980 montraient que les gains obtenus lors des négociations du secteur public avaient des effets d'entraînement bénéfiques pour les travailleurs du secteur privé. De nos jours, c'est le contraire qui prévaut. Les augmentations obtenues dans le secteur public, qui sont en deçà de l'inflation depuis trente ans, contribuent à maintenir, en moyenne, les hausses salariales de l'ensemble des travailleurs, qu'ils soient syndiqués ou non, sous la hausse des prix. Depuis trois décennies, les salariés n'augmentent pas leur pouvoir d'achat même si, en général, la croissance économique est au rendez-vous. En effet, le produit intérieur brut s'est accru de 2,3 % par année au Québec et la productivité du travail a augmenté de 1,2 % par année de 1981 à 2008.

C'est unique dans l'histoire du Québec que les salariés ne puissent bénéficier d'une amélioration de leur sort sur une aussi longue période. La richesse se crée, mais les travailleurs salariés n'en voient pas la couleur. Sa redistribution est toujours reportée à plus tard. Depuis près de trente ans, l'affaiblissement du rapport de force syndical dans le secteur public comme privé se traduit donc par un recul de la rémunération et, en conséquence, par une répartition plus inégalitaire de la richesse. »

La portée d’une victoire du Front commun aura des impacts positifs pour contrer les projets de tarification et de démantèlement des services publics.

Finalement, dans le contexte économique et politique actuel, il ne sera pas possible de faire un règlement vraiment satisfaisant par la seule négociation. L’établissement d’un rapport de force incluant évidemment le recours à la grève sera absolument nécessaire pour infléchir la volonté du gouvernement de faire payer la classe ouvrière pour la crise. Il faut mener la lutte classe contre classe.

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