mardi 7 juillet 2009

LE HONDURAS ET LE DOUBLE LANGAGE DES ÉTATS-UNIS

La Havane. 7 Juillet 2009
Granma internacional
Hugo Morliz Mercado

EN attendant que le président du Honduras, Manuel Zelaya, revienne à Tegucigalpa, avec tous les pouvoirs que lui confère la Constitution de ce pays d’Amérique centrale, il faudra se méfier de la politique du «double langage». Nous avons trop connu, dans cette terre de Notre Amérique, les habiles manœuvres diplomatiques de la Maison Blanche et les efforts déployés par ses services secrets pour créer la confusion et finalement imposer sa vision des faits.
« La politique du double langage » a été mise au point par les Etats-Unis dans les années 1980 pour contrer la Révolution sandiniste. Les deux tactiques d’une même stratégie (vaincre le sandinisme) consistaient, d’une part, à mener la guerre contre le gouvernement sandiniste, en prenant pour base arrière le Honduras, et, d’autre part, à encourager le dialogue demandé par les forces opposées à la fois l’intervention militaire et au gouvernement présidé par Daniel Ortega. L’organisation des Contras et leur financement tout comme les propositions de dialogue ont servi, ensemble, à venir à bout du gouvernement révolutionnaire. En 1989, le FSLN perdait le pouvoir qu’il avait conquis par les armes dix ans plus tôt.
On pourrait penser qu’avec le temps, cette stratégie a perdu sa raison d’être et qu’elle n’était justifiée que par l’époque de la Guerre froide que nous traversions alors. Or, les événements qui se sont produits, il y a quelques années, en Haïti, prouvent le contraire et mettent à nu la double morale de la bourgeoisie impériale. Ainsi, le 29 février 2004, un coup d’Etat est venu mettre un terme au gouvernement du président Jean Bertrand Aristide. Les Etats-Unis et l’OEA ont aussitôt condamné sévèrement la subversion de l’ordre démocratique dans ce pays. Puis une lettre de démission du président haïtien fut rendue publique sans que ne soit confirmée son authenticité. Petit à petit, ceux qui, encouragés dans un premier temps par la prise de position des Etats-Unis, attendaient le retour de Jean Bertrand Aristide à Port-au-Prince, commencèrent à déchanter. Plus le temps passait, plus on se rendait compte que l’empire manoeuvrait en coulisses pour ouvrir une période de transition où auraient également leur place les forces d’opposition.
Les déclarations qu’a faites la secrétaire d’Etat Hillary Clinton, dans l’après-midi du 28 juin dernier, paraissent confirmer cette stratégie du double jeu. «Lorsque je dis appuyer le travail de l’OEA, je veux dire qu’il faut travailler avec toutes les forces en présence au Honduras, afin que tous les partis impliqués marquent une pause et examinent comment leurs institutions démocratiques devraient fonctionner», a-t-elle affirmé en substance. Que devons-nous comprendre lorsque Clinton dit : «Il faut savoir que pour maintenir la démocratie, il faut y mettre le prix. Nous ne voulons pas faire marche arrière et nous voulons que tous les partis jouent un rôle en ce sens et soient responsables»? Nous souhaitons que cette exhortation à ne pas «faire marche arrière» ne signifie pas le cautionnement de la destitution de Zelaya. Ce dernier, comme on sait, ne jouit pas de l’appui des partis au Congrès national du Honduras, n i même du Parti libéral avec lequel il a remporté les élections de 2005, parce qu’il a pris parti en faveur de l’Amérique latine. Espérons que cet appel de Clinton ne veut pas dire non plus qu’il convient de tout effacer et de repartir à zéro, de telle sorte que les responsables du coup d’Etat – le premier à survenir depuis l’élection du gouvernement Obama – ne soient pas traduits en justice ni condamnés.
Ni Dan Restrepo ni Clinton n’ont condamné l’enlèvement de Zelaya et le coup d’Etat en des termes attendus d’une administration qui prétend vouloir reconstruire ses liens avec l’Amérique latine. On ne peut qu’être surpris d’entendre la vice-présidente du Congrès hondurien, Marcia Villeda, déclarer à CNN que pendant toute la semaine, ils ont cherché une solution qui permettrait d’éviter la consultation populaire proposée par Zelaya. Elle est même allée jusqu’à déclarer que l’ambassadeur des Etats-Unis, Hugo Lorens, avait participé à ces discussions.
On peut faire plusieurs lectures des événements en cours au Honduras. Selon la chercheuse Eva Golinger, on doit y voir la main du Pentagone et de la CIA. Quoi qu’il en soit, on ne peut que s’interroger sur les informations dont disposait réellement l’administration Obama avant et pendant le coup d’Etat militaire, et il est sans doute exagéré d’affirmer que le coup d’Etat a été déclenché pour obtenir le départ des militaires étasuniens de leurs bases du Honduras.
Dans la première moitié du XXe, les compagnies étasuniennes comme la United Fruit et la Rosario Minning contrôlaient presque 100% des exportations de bananes et de minerais divers. Par ailleurs, les Etats-Unis possèdent une base militaire à Soto Cano, à 97 kilomètres de la capitale. Les militaires honduriens, c’est bien connu, ne font rien sans le consentement de leurs homologues étasuniens. Il est donc peu probable que les militaires honduriens aient décidé de se lancer dans une telle aventure sans l’accord des hautes instances militaires des Etats-Unis et sans que les services d’intelligence, qui sont très actifs dans ce pays, aient été mis au courant.
Ce dont on ne peut douter, cependant, c’est que la Maison Blanche allait modifier sa position en fonction des réactions aussi bien au Honduras que sur la scène internationale. Elle a donc condamné fermement le coup d’Etat perpétré lâchement par la bourgeoisie de ce pays - même si cette bourgeoisie nourrit des liens très étroits avec les compagnies nord-américaines -, et avec la complicité des grands médias qui ont préféré garder le silence sur cet acte contraire à la démocratie et à la légitimité d’un gouvernement élu. Au tout début, Obama, par la voix de Dan Retsrepo, a exprimé sa préoccupation (il n’a pas parlé de condamnation) pour les événements en cours au Honduras. Il a exhorté la population de ce pays à «résoudre ses problèmes sans aucune ingérence extérieure ». En fin d’après-midi, le conseiller de l’administration démocratique pour l’Amérique latine a réitéré, à quelques nuances près, les mêmes propos officiels.
Les Etats-Unis se sont finalement rangés du côté des pays qui condamnent le coup d’Etat, en premier lieu les pays membres de l’ALBA-TCP. Il ne pouvait en être autrement car le prix à payer aurait été fort élevé. Mais cela ne signifie pas, loin de là, que la bourgeoisie impériale ne va pas reprendre sa politique de «double langage». Si elle renonçait à ses politiques subversives et à ses manœuvres de contre-insurrection, elle agirait, par le fait même, contre sa propre nature.
Heureusement, notre Amérique n’est pas celle des années 1970. La rapide réaction des gouvernements progressistes et révolutionnaires a été, malgré le comportement des grands groupes de presse transnationaux, décisive pour éviter la consolidation du régime de facto. Pour le reste, quant à parler de médias, Télésur a prouvé, si besoin était, que la décision de créer cette chaîne multinationale était des plus judicieuses.
Pour que le Honduras d’aujourd’hui ne devienne pas le Nicaragua des années 1980 ou le Haïti de 2004, il est plus que jamais nécessaire que les peuples et les gouvernements de Notre Amérique augmentent leurs pressions et demeurent vigilants face aux manœuvres éventuelles des Etats-Unis. Le Honduras peut être un nouveau ballon d’essai. (Extrait de Rebellion) •

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