dimanche 21 août 2011

Libye: la fin de Kadhafi annoncée une fois de plus

La guerre en Libye s’enlise. Après cinq mois de bombardements par les États-Unis et, ensuite, par l’Otan, on parle aujourd’hui de « bombardements d’entretien ». Mais, sur le terrain, la guerre est occupée à déchirer un pays.


Tony Busselen, Solidaire, Parti du Travail de Belgique.


Les cibles bombardées sont-elles légitimes ?


Dans la nuit du 8 au 9 août, les appareils de l’Otan ont bombardé trois heures durant un groupe de quatre exploitations agricoles à Majar, un quartier du sud de la ville de Zlitane. Le porte-parole de l’Otan, le colonel Roland Lavoie, parle d’un « objectif légitime ». Lavoie contredit expressément le communiqué du gouvernement libyen prétendant qu’il y aurait eu 85 tués, dont 33 enfants. « Absolument rien n’indique qu’il y ait eu des victimes civiles », affirme Lavoie1.



« Allez donc dire ça à Salwa Jawoo, 15 ans », écrit le journaliste de la BBC qui a visité l’endroit quelque 36 heures plus tard. « Salwa a des égratignures au visage et une épaule brisée. Il n’y avait pas de camp militaire, ici. ‘Ma mère et mes deux sœurs ont été tuées’, dit la fille pendant qu’une larme coule sur sa joue. Elle est vraiment affligée. C’est la même chose pour Ali Mufta Hamed Gavez, dont la femme est à l’hôpital avec une jambe en moins. À la morgue, la puanteur est intenable. Trente linceuls sont disposés en tous sens. Nos accompagnateurs ouvrent la moitié des sacs. De certains corps, il ne reste pas grand-chose. Dans l’un d’eux, on voit un pied posé sur un amas informe de restes humains. Parmi les cadavres, ceux de deux enfants et de deux femmes. »2


Les bombardements de l’Otan devaient servir à protéger les civils. Il est inévitable que des civils soient victimes des bombardements. Mais, de ces bombardements, il ressort clairement, une fois de plus, que l’Otan ne remplit nullement une fonction défensive, mais qu’elle ouvre en fait la voie à l’offensive des rebelles qui, depuis l’Est, tentent d’avancer vers l’Ouest. Après un tel drame, avec les images horribles de corps calcinés ou déchiquetés, il est très difficile à l’issue d’une brève visite de se faire une image absolument objective des victimes. « Nous ne saurons sans doute jamais combien de personnes ont perdu la vie dans ce bombardement ni qui elles étaient en fait. La ligne de front n’est pas tellement éloignée et il se pourrait très bien que les soldats doivent se reposer quelque part », conclut le correspondant de la BBC.



Une guerre médiatique


Avoir un jugement très clair à propos des versions des deux parties belligérantes est très malaisé. Les médias occidentaux sont majoritairement pro-Otan. Çà et là seulement, on entend des critiques à demi-mot sur la version de l’Otan. Quant à la version libyenne, il faut la chercher sur YouTube, souvent en arabe, et il vous reste alors à tenter d’avoir via Google la traduction des titres et la teneur des vidéos.



La plupart des médias occidentaux ont rapporté que le vendredi 5 août, lors des bombardements effectués sur Zlitane dans la nuit de jeudi à vendredi, Khamis, un fils de Kadhafi commandant une brigade de l’armée, aurait été tué. D’après le communiqué triomphaliste des rebelles, il y aurait eu 32 tués, au cours de ces bombardements. Quatre jours plus tard, on voit sur YouTube un reportage de la TV libyenne dans lequel Khamis Kadhafi rend visite dans un hôpital à des victimes de ces bombardements et leur apporte quelque réconfort. Le lendemain, le journal français L’Express admet en hésitant qu’« un homme que l’on présente comme Khamis est apparu à la TV libyenne »3.


Chaque semaine, depuis mai, des manifestations massives de soutien à Kadhafi sont organisées dans plusieurs villes libyennes. Le 8 juillet, j’ai été moi-même témoin à Tripoli d’une telle manifestation massive, une semaine après la manifestation à laquelle des centaines de milliers de personnes avaient pris part. Mais, le même jour, ce n’est pas à Tripoli qu’avait lieu le plus gros rassemblement, mais bien à Saba, dans le Sud, à quelque 780 km de Tripoli. Depuis lors, YouTube nous sert des images de semblables manifestations de masse qui ont lieu dans des villes comme Adjabya, Sabrata, Brega, Azaziya, Tarhuna, Bani Walid, Al Hadba et Tiji4. Dans les médias occidentaux, on entend très rarement parler de ces manifestations généralement massives. Le 16 juillet, une semaine avant que l’Otan n’entame les bombardements de Zlitane, le journaliste de la CNN, Ivan Watson, a montré pendant une minute et demie des images d’une foule impressionnante qui, dans cette même ville, témoignait son soutien à Kadhafi et à son gouvernement5.



Cinq mois après avoir annoncé que Kadhafi allait disparaître en quelques semaines, la machine de propagande de l’Otan doit passer à la vitesse supérieure si elle veut que reste crédible l’histoire de « la fin prochaine de Kadhafi ». Ces derniers mois, nous avons eu des infos quotidiennes sur des villes capturées ou sur le point de l’être : Brega, Zlitane, Misrata… Depuis, ces noms sont devenus familiers. Sur YouTube, on peut découvrir chaque jour des images de la TV libyenne montrant une fois de plus que ces villes sont toujours bel et bien aux mains du gouvernement et que leur population soutient ce dernier. La version du porte-parole du gouvernement libyen, Moussad Ibrahim, semble crédible. Moussad parle d’un scénario qui se répète répétitif : l’Otan bombarde une ville et la route menant à une ville, les troupes du gouvernement doivent se replier, après quoi les rebelles progressent quelque peu. Ensuite, ces rebelles subissent un revers et sont chassés. Jusqu’au prochain tour… Le fait est qu’aujourd’hui, hormis quelques villes de la périphérie de Benghazi, aucune ville n’est définitivement aux mains des rebelles. Pas même Misrata, autour de laquelle il y a de lourds combats depuis quelques mois, et qui est toujours une ville disputée, a dû reconnaître la BBC le 13 août.


Aujourd’hui, lundi 15 août, on parle une fois de plus d’une « grande percée des rebelles ». La ville de Zawiya, à l’ouest de Tripoli, serait tombée aux mains des rebelles et Tripoli serait entièrement coupée du monde extérieur. Sans manquer d’air, The Mail écrit le 15 août : « Grâce à plusieurs attaques aériennes, les rebelles libyens ont pu entrer dans la ville. » Il est vraiment difficile d’expliquer plus efficacement que les bombardements n’ont rien à voir avec la protection des civils, mais tout avec le soutien des opérations militaires des rebelles !



Sérieux comme un pape, The Telegraph titre : « Tripoli braces for Gaddafi’s final curtain » (Tripoli se cramponne pour la fin de Kadhafi). De Standaard annonce que les rebelles vont s’emparer de Tripoli avant la fin août. Cela reste à voir…


En attendant, depuis une semaine, les rebelles n’ont plus de direction politique unie. En effet, le week-end dernier, on apprenait que Mahmoud Jibril, le Premier ministre du gouvernement rebelle à Benghazi, avait dissous son « gouvernement ». La raison en est que l’assassinat du général Abdul Fattah Younes, le commandant suprême des rebelles, doit être tiré au clair. C’est un aveu de ce que le coupable doit se trouver dans les rangs mêmes des rebelles et non à Tripoli, comme Jibril l’avait d’abord affirmé6.


Les doutes s’amplifient au sein de l’Otan


Ces dernières semaines ont vu le doute s’accroître au sein de la coalition de l’Otan. Le 1er août, sous pression de l’opinion publique et du Parlement, le gouvernement norvégien retirait ses avions des opérations. Le lieutenant-colonel Hans Ole Sandnes expliquait à la TV norvégienne : « Quand nous lâchons une bombe, celle-ci libère une énorme force explosive et il est pratiquement impossible de savoir s’il y a des gens dans le voisinage des endroits où tombent les bombes. »7



Les parlements du Canada et de la Belgique avaient décidé avec un consensus de participer aux attaques de l’Otan, mais ici aussi, le doute montre le bout du nez. Ainsi, le second parti canadien, les New Democrats, estime que le Canada doit se retirer de la guerre. Les New Democrats sont le plus important parti d’opposition et occupent environ 30 % des sièges du Parlement8. En Belgique, une information de Belga a provoqué quelques remous. Une source des hautes instances de l’armée belge a confirmé que « les bombardements ne parviendraient jamais à mettre Kadhafi à genoux. Ce que nous faisons pour l’instant, ce sont en fait des bombardements d’entretien. Cela revient purement et simplement à maintenir la pression sur le couvercle »9.


Wouter De Vriendt de Groen! a qualifié ce concept de « bombardements d’entretien » d’« absurde » est il estime qu’« une pause dans les bombardements est nécessaire. Nous devons désormais mettre en route l’aide humanitaire et enclencher les négociations diplomatiques ». « Contribuer à chasser un régime du pouvoir, cela ne se peut pas. Le gouvernement doit à nouveau présenter la chose au Parlement. »


Intal a lancé une campagne de pétition avec laquelle l’organisation compte collecter 30 signatures par représentant à la Chambre (donc, en tout, 4500 signatures). La pétition exige un retrait immédiat de troupes belges de la guerre et un arrêt des bombardements de l’Otan. Vous pouvez la signer sur http://www.intal.be/fr/node/10142

1. Briefing de presse de l’Otan, 9 août.
2. BBC, 11 août.
3. L’Express, 10 août.
4. Adjabya : http://www.youtube.com/watch?v=iWK2PIDh-l0 //
Sabraha : http://www.youtube.com/watch?v=LP8IF9a-jUI //
Brega : http://www.youtube.com/user/Rayyisse#p/search/2/1-UauWzcAkg //
Azaziya : http://www.youtube.com/user/Rayyisse#p/search/25/_40cZPItqsM //
Tarhuna : http://www.youtube.com/user/Rayyisse#p/search/29/WlK7mBofJhE //
Bani Walid : http://www.youtube.com/watch?v=PGYX0BBTnro //
Al Hadba : http://www.youtube.com/watch?v=qIT4WelmSYg //
Tiji : http://www.youtube.com/watch?v=N3yAH78jB80
5. http://www.youtube.com/watch?v=_Qf92ipV3-w
6. The New York Times, 8 août.
7. www.newsinenglish.no/2011/08/05/soldiers-come-home-from-libya/
8. The Globe and Mail, 8 août.
9. De Standaard, 12 août.

dimanche 14 août 2011

"La Grande-Bretagne était un baril de poudre. Vendredi, quelqu'un a allumé la mèche"

12 août 2011 17:45
Solidaire, Parti du Travail de Belgique

Les images en provenance des villes britanniques nous montrant des pillards, des bâtiments en flammes et des jeunes aux prises avec la police étaient omniprésentes la semaine dernière. De quelle violence s’agit-il ? D’où vient-elle ? Et quelle est la meilleure façon d’y réagir ?

Tony Busselen

Durant quatre jours et quatre nuits, de vastes zones des villes britanniques comme Londres, Manchester, Birmingham et Liverpool ont été plongées dans l’anarchie. Dans le quartier londonien de Haringey où les bagarres ont commencé, les habitations de 45 familles ont été rendues inhabitables. Dans la plupart des cas, il s’agit d’appartements situés au-dessus de commerces incendiés ou détruits. L’endroit le plus touché a été le quartier de Croydon, dans le sud de Londres : 55 familles ont dû quitter leur logement et 80 personnes ont du être hébergées par les services municipaux.[1]

Les dégâts aux habitations et les voitures incendiées ou détruites sont estimés à 200 millions de livres (228 millions d’euros). Les magasins pillés ont subi des dommages estimés à 141 millions de livres (161 millions d’euros).[2]

D’où vient cette violence ?

« La Grande-Bretagne était un baril de poudre et, vendredi, quelqu’un a allumé la mèche », écrit Laurie Penny, journaliste s’intéressant au social et habitante d’un des quartiers touchés. « Des jeunes en colère qui n’ont rien à faire et rien à perdre, s’en prennent à leur propre communauté. Personne ne peut les arrêter. Et ils le savent. Les échauffourées n’ont absolument rien à voir avec la mauvaise éducation ou avec la régression des services sociaux ou avec n’importe quel autre cliché que nous ressassent les gourous des médias. On ne résout pas l’inégalité structurelle avec quelques tables de billard (dans les maisons de jeunes, NdlR). Des émeutes sont déclenchées parce que ça confère un sentiment de pouvoir. On a bassiné durant toute l’existence de ces jeunes qu’ils ne valaient rien nulle part et, tout d’un coup, ils se rendent compte qu’ils sont en nombre et qu’ils peuvent tout faire, tout, littéralement. »[3]

Le site MapTube cartographie la ville de Londres par quartiers et par revenus. Le résultat est clair : ce sont bel et bien dans les quartiers les plus pauvres que les émeutes ont commencé.[4] Erik Swyngedouw, un professeur d’université belge résidant à Manchester, fait remarquer sur DeWereldMorgen.be : « La situation que connaissent bien des jeunes est relativement dénuée de perspective : pas de formation, pas de projet, pas d’emploi. Dans certains quartiers de Manchester résident quatre générations de chefs de famille qui n’ont jamais vraiment eu de travail. »[5]

On estime que 205 bandes sont actives à Londres, totalisant au moins 15.000 membres. Lenny, un jeune de 18 ans, vient d’une telle bande. Il habite chez sa mère et son jeune frère dans un appartement social de Laburnum Street à Hackney. « À trois, nous devons nous débrouiller avec 90 livres (103 euros) pour deux semaines », dit-il.[6] Dans le quartier de Haringey, où les émeutes ont commencé samedi, huit des treize maisons de jeunes ont été fermées, ces dernières semaines. Il n’y a guère non plus d’espoir de travail : pour chaque offre d’emploi, il y a 54 demandeurs.[7]

La mèche du baril

Ces quartiers sont en outre confrontés à des interventions policières agressives, censées tenir le mécontentement sous contrôle. Depuis 1994, par exemple, il existe une loi autorisant la police à arrêter et fouiller tout le monde. Les statistiques montrent que, sur base de cette loi, les gens d’origine immigrée ont neuf fois plus de chance d’être fouillés que les simples citoyens britanniques blancs. Début juillet, la haute cour de justice déclarait recevable la plainte d’une jeune noire de 37 ans, Ann Juliette Roberts. La femme a été blessée après que la police l’ait jetée au sol et lui ait passé les menottes parce qu’elle la soupçonnait de dissimuler quelque chose dans son sac à main. Finalement, elle a été arrêtée sur base d’une prétendue accusation de fraude : elle disposait dans son portefeuille de cartes de crédit émises avec son nom de jeune fille et avec son nom de femme mariée.[8]

Dans une carte blanche publiée dans The Guardian, Nina Power fait remarquer ceci : « Récemment, un journaliste a écrit qu’il était étonné par le nombre de personnes qui, à Tottenham (la partie de Londres où ont éclaté les émeutes), connaissaient l’IPCC[9] (NDLR un organe de contrôle de la police) et étaient très critiques à son égard. Mais cela n’a rien d’étonnant quand on sait que, depuis 1998, au moins 333 personnes d’ici sont mortes dans des cellules de commissariat sans qu’aucun agent n’ait été condamné. Ici, beaucoup considèrent à juste titre la justice et l’IPCC comme les protecteurs de la police et non des simples citoyens. »[10]

Et, cette fois aussi, c’est l’intervention de la police qui a mis le feu aux poudres. Mark Duggan, le jeune homme qui a été abattu le jeudi soir qui a précédé les émeutes, n’a pas perdu la vie au cours d’un échange de coups de feu, comme la police l’avait d’abord expliqué, mais a pris une balle dans la poitrine après que son taxi avait été mis à l’arrêt pour un contrôle policier. Les émeutes ont éclaté après que la famille et des amis se soient rendus au bureau de police pour demander des explications sur la mort de Mark. Jusqu’alors, elles n’avaient eu des nouvelles que par le biais des médias. Stafford Scott, un journaliste du Guardian, était présent : « Nous sommes restés là quatre heures, de 17 à 21 heures, à attendre sans la moindre réaction. Si un officier de police serait venu nous trouver et s’il nous aurait parlé, nous serions tous partis avant qu’il n’y aurait eu des problèmes. Il est impardonnable que la police ait refusé tout dialogue. » La goutte qui a fait déborder le vase est le tabassage le même soir d’une gamine de seize ans qui criait « nous voulons des réponses, venez nous parler ».[11]

Le climat est pourri depuis les années 80

Bien sûr, la famille de Mark Duggan a raison de dire que les émeutes n’avaient rien à voir avec la mort du jeune homme et de demander le retour au calme. En effet, cela n’a été que l’étincelle qui a mis le feu aux poudres. Erik Swyngedouw affirme avec à-propos : « Ce climat trouve son origine dans les années 80, sous le gouvernement Thatcher. » Il fait allusion à de semblables émeutes qui avaient éclaté en 1985. Pour lui, la politique antisociale agressive de Margaret Thatcher avait alors été à la base de ces émeutes. Et il ajoute : « Blair a poursuivi et développé plus avant encore cette doctrine thatchérienne. »

Depuis la crise de 2008, les choses ne se sont pas améliorées : l’an dernier, le Premier ministre britannique faisait savoir que, d’ici 2014, il comptait économiser 94 milliards d’euros via, entre autres, des licenciements massifs (600.000 personnes) dans le secteur public. Il prévoyait également 25 milliards d’euros d’économies dans les allocations familiales, les indemnités de logement ou de chauffage et les services gratuits aux personnes de plus de 60 ans.[12]

« Les gens qui gouvernent la Grande-Bretagne ne se rendaient absolument pas compte à quel point le situation était désespérée. Après trente ans d’inégalité criarde, au beau milieu d’une récession économique, ils pensaient pouvoir s’emparer des derniers points d’appui des gens (les indemnités, les emplois, l’espoir d’un enseignement meilleur, les filets sociaux, …) sans que cela ne suscite de réactions. Eh bien, ils se mettaient le doigt dans l’œil » explique Laurie Penny.

Mais on dirait que Cameron et la classe dirigeante britannique n’aient guère besoin d’un examen de conscience. Les hommes politiques britanniques, qui utilisent leurs notes de défraiement parlementaires pour leurs dépenses privées (et même pour l’achat de maisons), et les journaux du groupe de Rupert Murdoch qui, le mois dernier, étaient encore mis en cause pour de scandaleuses pratiques d’écoute téléphonique, parlent aujourd’hui avec mépris de « l’absence de valeurs » de « la racaille ». Et applaudissent sans nuance aux interventions brutales de la police. Et, çà et là, il s’élève même des voix pour réclamer qu’on retire également les indemnités sociales et les logements sociaux à ceux qui auraient été condamnés à de peines de prisons dans le cadre des émeutes, ce qui ne manquerait pas d’en faire des délinquants pour le reste de leurs jours.

« C’est le capitalisme qui est à l’origine des émeutes »

« L’Occident capitaliste est en train de perdre ses plumes », me confiait-on récemment. Après les scandales politiques autour du magnat de la presse Rupert Murdoch, après la crise financière et la guerre qui s’est enlisée en Libye, on a droit maintenant aux émeutes au berceau même du capitalisme mondial : Londres. Bien des observateurs font remarquer que ce qui s’est passé en Grande-Bretagne peut également se passer dans n’importe quelle grande ville européenne. De telles émeutes sont en premier lieu des signes que cette crise a atteint la limite du supportable. Nous nous trouvons devant un choix : « le socialisme ou la barbarie », voilà qui devient de plus en plus clair et concret. Au lieu de défendre à tout prix le système qui provoque cette crise et ne parvenir ainsi qu’à accroître la misère, il serait plus que temps de chercher une autre issue.

Dans un communiqué, la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique, la WFDY, dont Comac, le mouvement des jeunes du PTB, fait également partie, condamne les émeutes criminelles. Mais la fédération dit en même temps que ces émeutes « sont le résultat direct du système économique capitaliste et de l’aliénation des jeunes en général ». La WFDY invite les jeunes Britanniques à exprimer leur colère de façon constructive et « à s’organiser afin de trouver la meilleure façon de changer leur pays, ce qui aura plus de chance de se produire en renversant l’ordre régnant et non en détruisant les biens publics et privés ».[13]


[1] The Guardian, 11 août.
[2] AFP et The Economic Times du 11 août.
[3] http://pennyred.blogspot.com/2011/08/panic-on-streets-of-london.html
[4]http://maptube.org/map.aspx?m=ol&s=bBHFGlAlRcsKCSaXwRjAplwcCnYMClA9&k=http%3A%2F%2Forca.casa.ucl.ac.uk%2F~ollie%2Fmisc%2Flondonriots_verified_20110809_1514.kml
[5] http://www.dewereldmorgen.be/artikels/2011/08/10/manchester-my-life-shit-anyway
[6] The Morning Star et De Standaard, 11 août.
[7] The Irish Times, 12 août.
[8] BBC, 8 juillet : « London woman granted legal bid over stop & search powers ».
[9] IPPC = Independent Police Complaints Commission.
[10] The Guardian, 8 août.
[11] The Guardian, 8 août et Proletarian, 9 août.
[12] Solidaire, 19 octobre 2010.
[13] The Morning Star, 10 août

jeudi 4 août 2011

Corne de l'Afrique:: les dessous de la famine

12 millions de personnes sont menacées de famine en Afrique de l’Est, estiment les Nations Unies. La sécheresse exceptionnelle est citée comme cause principale de la catastrophe. « Ne croyez pas cela ! Cette famine est d’origine humaine. C’est le résultat d’une politique », explique Mohamed Hassan, spécialiste de cette région.


Cécile Chams, Parti du Travail de Belgique


La famine menace quelque 12 millions de personnes, avertit la FAO, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, « qui évalue à 120 millions de dollars les fonds nécessaires pour faire face à la sécheresse dans la Corne de l'Afrique et fournir une assistance rapide à l'agriculture ». Il y a la Somalie, mais pas seulement. « La crise actuelle affecte l'ensemble de la Corne de l'Afrique, notamment la partie nord du Kenya et les parties méridionales de l'Ethiopie, Djibouti et la région du Karamoja en Ouganda. »1Mais quelles sont les causes de cette famine ? Selon la FAO, « la crise alimentaire dans la Corne de l'Afrique a été déclenchée par la sécheresse, les conflits armés et l'envolée des prix des produits alimentaires. »2


Des fleurs au lieu de céréales


3,2 millions d’Ethiopiens ont besoin d’une aide urgente, estime la FAO. Dans ce pays, les prix du maïs ont bondi de 60 à 120 % entre mars et mai 2011. Des images de sécheresse et d’enfants décharnées défilent sur nos écrans… « L’Ethiopie est le château d’eau de l’Afrique, explique Mohamed Hassan. Ce pays a des ressources hydrauliques immenses ! C’est notamment là que le Nil prend sa source. Quelque 115 milliards de mètres cubes d’eau passent chaque année par les quatre fleuves principaux. L’Ethiopie a une superficie de 1,14 millions de km2, soit deux fois celle de la France. On estime que 65 % sont de la terre arable3.


C’est aussi le pays d’Afrique le plus riche en bétail. Il y a aussi des minerais, du gaz naturel. Mais la minorité ethnique au pouvoir a fait alliance avec les Etats-Unis et a ouvert largement les portes du pays pour l’exploitation des sols et des ressources aux multinationales. Ce pays est notamment devenu un des plus gros producteurs mondiaux de fleurs coupées. Alors qu’une partie de la population souffre de la faim, les meilleures terres sont réservées à produire des fleurs, au profit des multinationales. »L’Ethiopie exporte aujourd’hui pour 550 millions de dollars de produits horticoles. Plus de 90 sociétés ont investi dans le secteur. L'Éthiopie est devenue le deuxième pays exportateur de fleurs coupées de l’Afrique, juste derrière le Kenya voisin, également touché par la famine.


L’an dernier, Arte a consacré un reportage à cette spoliation des terres en Ethiopie. En échange de leurs terres, les paysans s’étaient vus promettre une indemnisation du gouvernement… qui n’a jamais été versée. « Pour subvenir à leurs besoins, les agriculteurs se voient condamnés à travailler dans les fermes horticoles. Pour des salaires de misère : 50 cents par jour, sans aucune protection contre les pesticides. Esclaves de cartels anonymes qui leur ont soustrait leurs biens. »4« Bien sûr, il y a une sécheresse cette année, précise Mohamed Hassan. Elle est le résultat du réchauffement climatique dont l’Occident, Etats-Unis en tête, est responsable. Mais sécheresse ne signifie pas automatiquement famine. Chaque pays doit se constituer des réservoirs d’eau et utiliser les réserves disponibles de façon rationnelle et équitable. C’est malhonnête de placer la sècheresse comme cause principale du problème. »

Le pompier pyromane

La Somalie est le pays de la région le plus menacé par la famine. 3,7 millions de Somaliens ont besoin d’une aide urgente, estime la FAO. La Somalie est un grand pays de la taille de la France, avec un climat semi-aride. Elle dispose néanmoins de deux cent mille hectares de terres cultivées. A côté de cela, elle possède de l'uranium, des réserves largement inexploitées de minerai de fer, de l'étain, du gypse, de la bauxite, du cuivre, sel, du gaz naturel et très probablement du pétrole. « Mais surtout c’est un pays d’importance stratégique majeure, explique Mohamed Hassan. Le pays a la plus vaste côte d’Afrique (3.025 km) et fait face au Golfe arabique et au détroit d’Hormuz, deux centres névralgiques de l’économie de l’Océan Indien. En effet, la moitié de la flotte mondiale des porte-conteneurs et 70% du trafic total des produits pétroliers passent par l’Océan Indien. Et ce pays a été ravagé par la guerre et par l’intervention des Etats-Unis en 1992. Ceux-ci avaient découvert quelques années auparavant de possibles réserves de pétrole en Somalie. Depuis, la politique des Etats-Unis a été de maintenir le chaos en Somalie, sans véritable gouvernement.


En maintenant l’instabilité du pays, notamment de ses côtes, les Etats-Unis veulent enrayer le développement des relations entre l’Afrique de l’Est et les puissances émergentes comme l’Inde et la Chine. Cette politique a bloqué le développement du pays et est la cause principale de la famine. Les Etats-Unis utilisent aussi le territoire somalien à des fins militaires. Sous prétexte de combattre le terrorisme, ils ont construit des prisons à Mogadiscio et détiennent des centaines de gens, au mépris des lois internationales. Ces gens ont été kidnappés dans divers pays. Ils font de Mogadiscio, la capitale de la Somalie, le nouveau Guantanamo. Et ils vont se servir de la famine pour renforcer leur présence et justifier une intervention militaire. Donc, quand les Etats-Unis et les pays occidentaux appellent à aider la Somalie, c’est véritablement l’histoire du pompier pyromane. »


La région de la Corne de l’Afrique est plus vaste que l’Europe occidentale, avec une variété de climats. « Avec ses richesses en eau, en terres cultivables, en gaz, en minerais... cette région pourrait nourrir largement tous ses habitants, insiste Mohamed Hassan. Si une région connaît temporairement une sécheresse, d’autres régions pourraient compenser les pertes. Pourquoi y a-t-il de la famine en Ethiopie, en Somalie et au Kenya et pas en Erythrée ? Ce pays mène une politique indépendante et a presque atteint la sécurité alimentaire pour ses 5 millions d’habitants. Le prix des denrées alimentaire y a même été réduit de 50%. Mais pour que cette région puisse se développer, il faudrait cesser toute intervention étrangère et permettre aux populations de prendre leur sort en main. »
1.FAO, 20 juillet 2011. 2. FAO, 25 juillet 2011. 3. http://www.ethiopie-online.com/ 4. Ethiopie : des fleurs contre la faim, ARTE, 2010