jeudi 4 août 2011

Corne de l'Afrique:: les dessous de la famine

12 millions de personnes sont menacées de famine en Afrique de l’Est, estiment les Nations Unies. La sécheresse exceptionnelle est citée comme cause principale de la catastrophe. « Ne croyez pas cela ! Cette famine est d’origine humaine. C’est le résultat d’une politique », explique Mohamed Hassan, spécialiste de cette région.


Cécile Chams, Parti du Travail de Belgique


La famine menace quelque 12 millions de personnes, avertit la FAO, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, « qui évalue à 120 millions de dollars les fonds nécessaires pour faire face à la sécheresse dans la Corne de l'Afrique et fournir une assistance rapide à l'agriculture ». Il y a la Somalie, mais pas seulement. « La crise actuelle affecte l'ensemble de la Corne de l'Afrique, notamment la partie nord du Kenya et les parties méridionales de l'Ethiopie, Djibouti et la région du Karamoja en Ouganda. »1Mais quelles sont les causes de cette famine ? Selon la FAO, « la crise alimentaire dans la Corne de l'Afrique a été déclenchée par la sécheresse, les conflits armés et l'envolée des prix des produits alimentaires. »2


Des fleurs au lieu de céréales


3,2 millions d’Ethiopiens ont besoin d’une aide urgente, estime la FAO. Dans ce pays, les prix du maïs ont bondi de 60 à 120 % entre mars et mai 2011. Des images de sécheresse et d’enfants décharnées défilent sur nos écrans… « L’Ethiopie est le château d’eau de l’Afrique, explique Mohamed Hassan. Ce pays a des ressources hydrauliques immenses ! C’est notamment là que le Nil prend sa source. Quelque 115 milliards de mètres cubes d’eau passent chaque année par les quatre fleuves principaux. L’Ethiopie a une superficie de 1,14 millions de km2, soit deux fois celle de la France. On estime que 65 % sont de la terre arable3.


C’est aussi le pays d’Afrique le plus riche en bétail. Il y a aussi des minerais, du gaz naturel. Mais la minorité ethnique au pouvoir a fait alliance avec les Etats-Unis et a ouvert largement les portes du pays pour l’exploitation des sols et des ressources aux multinationales. Ce pays est notamment devenu un des plus gros producteurs mondiaux de fleurs coupées. Alors qu’une partie de la population souffre de la faim, les meilleures terres sont réservées à produire des fleurs, au profit des multinationales. »L’Ethiopie exporte aujourd’hui pour 550 millions de dollars de produits horticoles. Plus de 90 sociétés ont investi dans le secteur. L'Éthiopie est devenue le deuxième pays exportateur de fleurs coupées de l’Afrique, juste derrière le Kenya voisin, également touché par la famine.


L’an dernier, Arte a consacré un reportage à cette spoliation des terres en Ethiopie. En échange de leurs terres, les paysans s’étaient vus promettre une indemnisation du gouvernement… qui n’a jamais été versée. « Pour subvenir à leurs besoins, les agriculteurs se voient condamnés à travailler dans les fermes horticoles. Pour des salaires de misère : 50 cents par jour, sans aucune protection contre les pesticides. Esclaves de cartels anonymes qui leur ont soustrait leurs biens. »4« Bien sûr, il y a une sécheresse cette année, précise Mohamed Hassan. Elle est le résultat du réchauffement climatique dont l’Occident, Etats-Unis en tête, est responsable. Mais sécheresse ne signifie pas automatiquement famine. Chaque pays doit se constituer des réservoirs d’eau et utiliser les réserves disponibles de façon rationnelle et équitable. C’est malhonnête de placer la sècheresse comme cause principale du problème. »

Le pompier pyromane

La Somalie est le pays de la région le plus menacé par la famine. 3,7 millions de Somaliens ont besoin d’une aide urgente, estime la FAO. La Somalie est un grand pays de la taille de la France, avec un climat semi-aride. Elle dispose néanmoins de deux cent mille hectares de terres cultivées. A côté de cela, elle possède de l'uranium, des réserves largement inexploitées de minerai de fer, de l'étain, du gypse, de la bauxite, du cuivre, sel, du gaz naturel et très probablement du pétrole. « Mais surtout c’est un pays d’importance stratégique majeure, explique Mohamed Hassan. Le pays a la plus vaste côte d’Afrique (3.025 km) et fait face au Golfe arabique et au détroit d’Hormuz, deux centres névralgiques de l’économie de l’Océan Indien. En effet, la moitié de la flotte mondiale des porte-conteneurs et 70% du trafic total des produits pétroliers passent par l’Océan Indien. Et ce pays a été ravagé par la guerre et par l’intervention des Etats-Unis en 1992. Ceux-ci avaient découvert quelques années auparavant de possibles réserves de pétrole en Somalie. Depuis, la politique des Etats-Unis a été de maintenir le chaos en Somalie, sans véritable gouvernement.


En maintenant l’instabilité du pays, notamment de ses côtes, les Etats-Unis veulent enrayer le développement des relations entre l’Afrique de l’Est et les puissances émergentes comme l’Inde et la Chine. Cette politique a bloqué le développement du pays et est la cause principale de la famine. Les Etats-Unis utilisent aussi le territoire somalien à des fins militaires. Sous prétexte de combattre le terrorisme, ils ont construit des prisons à Mogadiscio et détiennent des centaines de gens, au mépris des lois internationales. Ces gens ont été kidnappés dans divers pays. Ils font de Mogadiscio, la capitale de la Somalie, le nouveau Guantanamo. Et ils vont se servir de la famine pour renforcer leur présence et justifier une intervention militaire. Donc, quand les Etats-Unis et les pays occidentaux appellent à aider la Somalie, c’est véritablement l’histoire du pompier pyromane. »


La région de la Corne de l’Afrique est plus vaste que l’Europe occidentale, avec une variété de climats. « Avec ses richesses en eau, en terres cultivables, en gaz, en minerais... cette région pourrait nourrir largement tous ses habitants, insiste Mohamed Hassan. Si une région connaît temporairement une sécheresse, d’autres régions pourraient compenser les pertes. Pourquoi y a-t-il de la famine en Ethiopie, en Somalie et au Kenya et pas en Erythrée ? Ce pays mène une politique indépendante et a presque atteint la sécurité alimentaire pour ses 5 millions d’habitants. Le prix des denrées alimentaire y a même été réduit de 50%. Mais pour que cette région puisse se développer, il faudrait cesser toute intervention étrangère et permettre aux populations de prendre leur sort en main. »
1.FAO, 20 juillet 2011. 2. FAO, 25 juillet 2011. 3. http://www.ethiopie-online.com/ 4. Ethiopie : des fleurs contre la faim, ARTE, 2010

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