dimanche 21 août 2011

Libye: la fin de Kadhafi annoncée une fois de plus

La guerre en Libye s’enlise. Après cinq mois de bombardements par les États-Unis et, ensuite, par l’Otan, on parle aujourd’hui de « bombardements d’entretien ». Mais, sur le terrain, la guerre est occupée à déchirer un pays.


Tony Busselen, Solidaire, Parti du Travail de Belgique.


Les cibles bombardées sont-elles légitimes ?


Dans la nuit du 8 au 9 août, les appareils de l’Otan ont bombardé trois heures durant un groupe de quatre exploitations agricoles à Majar, un quartier du sud de la ville de Zlitane. Le porte-parole de l’Otan, le colonel Roland Lavoie, parle d’un « objectif légitime ». Lavoie contredit expressément le communiqué du gouvernement libyen prétendant qu’il y aurait eu 85 tués, dont 33 enfants. « Absolument rien n’indique qu’il y ait eu des victimes civiles », affirme Lavoie1.



« Allez donc dire ça à Salwa Jawoo, 15 ans », écrit le journaliste de la BBC qui a visité l’endroit quelque 36 heures plus tard. « Salwa a des égratignures au visage et une épaule brisée. Il n’y avait pas de camp militaire, ici. ‘Ma mère et mes deux sœurs ont été tuées’, dit la fille pendant qu’une larme coule sur sa joue. Elle est vraiment affligée. C’est la même chose pour Ali Mufta Hamed Gavez, dont la femme est à l’hôpital avec une jambe en moins. À la morgue, la puanteur est intenable. Trente linceuls sont disposés en tous sens. Nos accompagnateurs ouvrent la moitié des sacs. De certains corps, il ne reste pas grand-chose. Dans l’un d’eux, on voit un pied posé sur un amas informe de restes humains. Parmi les cadavres, ceux de deux enfants et de deux femmes. »2


Les bombardements de l’Otan devaient servir à protéger les civils. Il est inévitable que des civils soient victimes des bombardements. Mais, de ces bombardements, il ressort clairement, une fois de plus, que l’Otan ne remplit nullement une fonction défensive, mais qu’elle ouvre en fait la voie à l’offensive des rebelles qui, depuis l’Est, tentent d’avancer vers l’Ouest. Après un tel drame, avec les images horribles de corps calcinés ou déchiquetés, il est très difficile à l’issue d’une brève visite de se faire une image absolument objective des victimes. « Nous ne saurons sans doute jamais combien de personnes ont perdu la vie dans ce bombardement ni qui elles étaient en fait. La ligne de front n’est pas tellement éloignée et il se pourrait très bien que les soldats doivent se reposer quelque part », conclut le correspondant de la BBC.



Une guerre médiatique


Avoir un jugement très clair à propos des versions des deux parties belligérantes est très malaisé. Les médias occidentaux sont majoritairement pro-Otan. Çà et là seulement, on entend des critiques à demi-mot sur la version de l’Otan. Quant à la version libyenne, il faut la chercher sur YouTube, souvent en arabe, et il vous reste alors à tenter d’avoir via Google la traduction des titres et la teneur des vidéos.



La plupart des médias occidentaux ont rapporté que le vendredi 5 août, lors des bombardements effectués sur Zlitane dans la nuit de jeudi à vendredi, Khamis, un fils de Kadhafi commandant une brigade de l’armée, aurait été tué. D’après le communiqué triomphaliste des rebelles, il y aurait eu 32 tués, au cours de ces bombardements. Quatre jours plus tard, on voit sur YouTube un reportage de la TV libyenne dans lequel Khamis Kadhafi rend visite dans un hôpital à des victimes de ces bombardements et leur apporte quelque réconfort. Le lendemain, le journal français L’Express admet en hésitant qu’« un homme que l’on présente comme Khamis est apparu à la TV libyenne »3.


Chaque semaine, depuis mai, des manifestations massives de soutien à Kadhafi sont organisées dans plusieurs villes libyennes. Le 8 juillet, j’ai été moi-même témoin à Tripoli d’une telle manifestation massive, une semaine après la manifestation à laquelle des centaines de milliers de personnes avaient pris part. Mais, le même jour, ce n’est pas à Tripoli qu’avait lieu le plus gros rassemblement, mais bien à Saba, dans le Sud, à quelque 780 km de Tripoli. Depuis lors, YouTube nous sert des images de semblables manifestations de masse qui ont lieu dans des villes comme Adjabya, Sabrata, Brega, Azaziya, Tarhuna, Bani Walid, Al Hadba et Tiji4. Dans les médias occidentaux, on entend très rarement parler de ces manifestations généralement massives. Le 16 juillet, une semaine avant que l’Otan n’entame les bombardements de Zlitane, le journaliste de la CNN, Ivan Watson, a montré pendant une minute et demie des images d’une foule impressionnante qui, dans cette même ville, témoignait son soutien à Kadhafi et à son gouvernement5.



Cinq mois après avoir annoncé que Kadhafi allait disparaître en quelques semaines, la machine de propagande de l’Otan doit passer à la vitesse supérieure si elle veut que reste crédible l’histoire de « la fin prochaine de Kadhafi ». Ces derniers mois, nous avons eu des infos quotidiennes sur des villes capturées ou sur le point de l’être : Brega, Zlitane, Misrata… Depuis, ces noms sont devenus familiers. Sur YouTube, on peut découvrir chaque jour des images de la TV libyenne montrant une fois de plus que ces villes sont toujours bel et bien aux mains du gouvernement et que leur population soutient ce dernier. La version du porte-parole du gouvernement libyen, Moussad Ibrahim, semble crédible. Moussad parle d’un scénario qui se répète répétitif : l’Otan bombarde une ville et la route menant à une ville, les troupes du gouvernement doivent se replier, après quoi les rebelles progressent quelque peu. Ensuite, ces rebelles subissent un revers et sont chassés. Jusqu’au prochain tour… Le fait est qu’aujourd’hui, hormis quelques villes de la périphérie de Benghazi, aucune ville n’est définitivement aux mains des rebelles. Pas même Misrata, autour de laquelle il y a de lourds combats depuis quelques mois, et qui est toujours une ville disputée, a dû reconnaître la BBC le 13 août.


Aujourd’hui, lundi 15 août, on parle une fois de plus d’une « grande percée des rebelles ». La ville de Zawiya, à l’ouest de Tripoli, serait tombée aux mains des rebelles et Tripoli serait entièrement coupée du monde extérieur. Sans manquer d’air, The Mail écrit le 15 août : « Grâce à plusieurs attaques aériennes, les rebelles libyens ont pu entrer dans la ville. » Il est vraiment difficile d’expliquer plus efficacement que les bombardements n’ont rien à voir avec la protection des civils, mais tout avec le soutien des opérations militaires des rebelles !



Sérieux comme un pape, The Telegraph titre : « Tripoli braces for Gaddafi’s final curtain » (Tripoli se cramponne pour la fin de Kadhafi). De Standaard annonce que les rebelles vont s’emparer de Tripoli avant la fin août. Cela reste à voir…


En attendant, depuis une semaine, les rebelles n’ont plus de direction politique unie. En effet, le week-end dernier, on apprenait que Mahmoud Jibril, le Premier ministre du gouvernement rebelle à Benghazi, avait dissous son « gouvernement ». La raison en est que l’assassinat du général Abdul Fattah Younes, le commandant suprême des rebelles, doit être tiré au clair. C’est un aveu de ce que le coupable doit se trouver dans les rangs mêmes des rebelles et non à Tripoli, comme Jibril l’avait d’abord affirmé6.


Les doutes s’amplifient au sein de l’Otan


Ces dernières semaines ont vu le doute s’accroître au sein de la coalition de l’Otan. Le 1er août, sous pression de l’opinion publique et du Parlement, le gouvernement norvégien retirait ses avions des opérations. Le lieutenant-colonel Hans Ole Sandnes expliquait à la TV norvégienne : « Quand nous lâchons une bombe, celle-ci libère une énorme force explosive et il est pratiquement impossible de savoir s’il y a des gens dans le voisinage des endroits où tombent les bombes. »7



Les parlements du Canada et de la Belgique avaient décidé avec un consensus de participer aux attaques de l’Otan, mais ici aussi, le doute montre le bout du nez. Ainsi, le second parti canadien, les New Democrats, estime que le Canada doit se retirer de la guerre. Les New Democrats sont le plus important parti d’opposition et occupent environ 30 % des sièges du Parlement8. En Belgique, une information de Belga a provoqué quelques remous. Une source des hautes instances de l’armée belge a confirmé que « les bombardements ne parviendraient jamais à mettre Kadhafi à genoux. Ce que nous faisons pour l’instant, ce sont en fait des bombardements d’entretien. Cela revient purement et simplement à maintenir la pression sur le couvercle »9.


Wouter De Vriendt de Groen! a qualifié ce concept de « bombardements d’entretien » d’« absurde » est il estime qu’« une pause dans les bombardements est nécessaire. Nous devons désormais mettre en route l’aide humanitaire et enclencher les négociations diplomatiques ». « Contribuer à chasser un régime du pouvoir, cela ne se peut pas. Le gouvernement doit à nouveau présenter la chose au Parlement. »


Intal a lancé une campagne de pétition avec laquelle l’organisation compte collecter 30 signatures par représentant à la Chambre (donc, en tout, 4500 signatures). La pétition exige un retrait immédiat de troupes belges de la guerre et un arrêt des bombardements de l’Otan. Vous pouvez la signer sur http://www.intal.be/fr/node/10142

1. Briefing de presse de l’Otan, 9 août.
2. BBC, 11 août.
3. L’Express, 10 août.
4. Adjabya : http://www.youtube.com/watch?v=iWK2PIDh-l0 //
Sabraha : http://www.youtube.com/watch?v=LP8IF9a-jUI //
Brega : http://www.youtube.com/user/Rayyisse#p/search/2/1-UauWzcAkg //
Azaziya : http://www.youtube.com/user/Rayyisse#p/search/25/_40cZPItqsM //
Tarhuna : http://www.youtube.com/user/Rayyisse#p/search/29/WlK7mBofJhE //
Bani Walid : http://www.youtube.com/watch?v=PGYX0BBTnro //
Al Hadba : http://www.youtube.com/watch?v=qIT4WelmSYg //
Tiji : http://www.youtube.com/watch?v=N3yAH78jB80
5. http://www.youtube.com/watch?v=_Qf92ipV3-w
6. The New York Times, 8 août.
7. www.newsinenglish.no/2011/08/05/soldiers-come-home-from-libya/
8. The Globe and Mail, 8 août.
9. De Standaard, 12 août.

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