dimanche 14 août 2011

"La Grande-Bretagne était un baril de poudre. Vendredi, quelqu'un a allumé la mèche"

12 août 2011 17:45
Solidaire, Parti du Travail de Belgique

Les images en provenance des villes britanniques nous montrant des pillards, des bâtiments en flammes et des jeunes aux prises avec la police étaient omniprésentes la semaine dernière. De quelle violence s’agit-il ? D’où vient-elle ? Et quelle est la meilleure façon d’y réagir ?

Tony Busselen

Durant quatre jours et quatre nuits, de vastes zones des villes britanniques comme Londres, Manchester, Birmingham et Liverpool ont été plongées dans l’anarchie. Dans le quartier londonien de Haringey où les bagarres ont commencé, les habitations de 45 familles ont été rendues inhabitables. Dans la plupart des cas, il s’agit d’appartements situés au-dessus de commerces incendiés ou détruits. L’endroit le plus touché a été le quartier de Croydon, dans le sud de Londres : 55 familles ont dû quitter leur logement et 80 personnes ont du être hébergées par les services municipaux.[1]

Les dégâts aux habitations et les voitures incendiées ou détruites sont estimés à 200 millions de livres (228 millions d’euros). Les magasins pillés ont subi des dommages estimés à 141 millions de livres (161 millions d’euros).[2]

D’où vient cette violence ?

« La Grande-Bretagne était un baril de poudre et, vendredi, quelqu’un a allumé la mèche », écrit Laurie Penny, journaliste s’intéressant au social et habitante d’un des quartiers touchés. « Des jeunes en colère qui n’ont rien à faire et rien à perdre, s’en prennent à leur propre communauté. Personne ne peut les arrêter. Et ils le savent. Les échauffourées n’ont absolument rien à voir avec la mauvaise éducation ou avec la régression des services sociaux ou avec n’importe quel autre cliché que nous ressassent les gourous des médias. On ne résout pas l’inégalité structurelle avec quelques tables de billard (dans les maisons de jeunes, NdlR). Des émeutes sont déclenchées parce que ça confère un sentiment de pouvoir. On a bassiné durant toute l’existence de ces jeunes qu’ils ne valaient rien nulle part et, tout d’un coup, ils se rendent compte qu’ils sont en nombre et qu’ils peuvent tout faire, tout, littéralement. »[3]

Le site MapTube cartographie la ville de Londres par quartiers et par revenus. Le résultat est clair : ce sont bel et bien dans les quartiers les plus pauvres que les émeutes ont commencé.[4] Erik Swyngedouw, un professeur d’université belge résidant à Manchester, fait remarquer sur DeWereldMorgen.be : « La situation que connaissent bien des jeunes est relativement dénuée de perspective : pas de formation, pas de projet, pas d’emploi. Dans certains quartiers de Manchester résident quatre générations de chefs de famille qui n’ont jamais vraiment eu de travail. »[5]

On estime que 205 bandes sont actives à Londres, totalisant au moins 15.000 membres. Lenny, un jeune de 18 ans, vient d’une telle bande. Il habite chez sa mère et son jeune frère dans un appartement social de Laburnum Street à Hackney. « À trois, nous devons nous débrouiller avec 90 livres (103 euros) pour deux semaines », dit-il.[6] Dans le quartier de Haringey, où les émeutes ont commencé samedi, huit des treize maisons de jeunes ont été fermées, ces dernières semaines. Il n’y a guère non plus d’espoir de travail : pour chaque offre d’emploi, il y a 54 demandeurs.[7]

La mèche du baril

Ces quartiers sont en outre confrontés à des interventions policières agressives, censées tenir le mécontentement sous contrôle. Depuis 1994, par exemple, il existe une loi autorisant la police à arrêter et fouiller tout le monde. Les statistiques montrent que, sur base de cette loi, les gens d’origine immigrée ont neuf fois plus de chance d’être fouillés que les simples citoyens britanniques blancs. Début juillet, la haute cour de justice déclarait recevable la plainte d’une jeune noire de 37 ans, Ann Juliette Roberts. La femme a été blessée après que la police l’ait jetée au sol et lui ait passé les menottes parce qu’elle la soupçonnait de dissimuler quelque chose dans son sac à main. Finalement, elle a été arrêtée sur base d’une prétendue accusation de fraude : elle disposait dans son portefeuille de cartes de crédit émises avec son nom de jeune fille et avec son nom de femme mariée.[8]

Dans une carte blanche publiée dans The Guardian, Nina Power fait remarquer ceci : « Récemment, un journaliste a écrit qu’il était étonné par le nombre de personnes qui, à Tottenham (la partie de Londres où ont éclaté les émeutes), connaissaient l’IPCC[9] (NDLR un organe de contrôle de la police) et étaient très critiques à son égard. Mais cela n’a rien d’étonnant quand on sait que, depuis 1998, au moins 333 personnes d’ici sont mortes dans des cellules de commissariat sans qu’aucun agent n’ait été condamné. Ici, beaucoup considèrent à juste titre la justice et l’IPCC comme les protecteurs de la police et non des simples citoyens. »[10]

Et, cette fois aussi, c’est l’intervention de la police qui a mis le feu aux poudres. Mark Duggan, le jeune homme qui a été abattu le jeudi soir qui a précédé les émeutes, n’a pas perdu la vie au cours d’un échange de coups de feu, comme la police l’avait d’abord expliqué, mais a pris une balle dans la poitrine après que son taxi avait été mis à l’arrêt pour un contrôle policier. Les émeutes ont éclaté après que la famille et des amis se soient rendus au bureau de police pour demander des explications sur la mort de Mark. Jusqu’alors, elles n’avaient eu des nouvelles que par le biais des médias. Stafford Scott, un journaliste du Guardian, était présent : « Nous sommes restés là quatre heures, de 17 à 21 heures, à attendre sans la moindre réaction. Si un officier de police serait venu nous trouver et s’il nous aurait parlé, nous serions tous partis avant qu’il n’y aurait eu des problèmes. Il est impardonnable que la police ait refusé tout dialogue. » La goutte qui a fait déborder le vase est le tabassage le même soir d’une gamine de seize ans qui criait « nous voulons des réponses, venez nous parler ».[11]

Le climat est pourri depuis les années 80

Bien sûr, la famille de Mark Duggan a raison de dire que les émeutes n’avaient rien à voir avec la mort du jeune homme et de demander le retour au calme. En effet, cela n’a été que l’étincelle qui a mis le feu aux poudres. Erik Swyngedouw affirme avec à-propos : « Ce climat trouve son origine dans les années 80, sous le gouvernement Thatcher. » Il fait allusion à de semblables émeutes qui avaient éclaté en 1985. Pour lui, la politique antisociale agressive de Margaret Thatcher avait alors été à la base de ces émeutes. Et il ajoute : « Blair a poursuivi et développé plus avant encore cette doctrine thatchérienne. »

Depuis la crise de 2008, les choses ne se sont pas améliorées : l’an dernier, le Premier ministre britannique faisait savoir que, d’ici 2014, il comptait économiser 94 milliards d’euros via, entre autres, des licenciements massifs (600.000 personnes) dans le secteur public. Il prévoyait également 25 milliards d’euros d’économies dans les allocations familiales, les indemnités de logement ou de chauffage et les services gratuits aux personnes de plus de 60 ans.[12]

« Les gens qui gouvernent la Grande-Bretagne ne se rendaient absolument pas compte à quel point le situation était désespérée. Après trente ans d’inégalité criarde, au beau milieu d’une récession économique, ils pensaient pouvoir s’emparer des derniers points d’appui des gens (les indemnités, les emplois, l’espoir d’un enseignement meilleur, les filets sociaux, …) sans que cela ne suscite de réactions. Eh bien, ils se mettaient le doigt dans l’œil » explique Laurie Penny.

Mais on dirait que Cameron et la classe dirigeante britannique n’aient guère besoin d’un examen de conscience. Les hommes politiques britanniques, qui utilisent leurs notes de défraiement parlementaires pour leurs dépenses privées (et même pour l’achat de maisons), et les journaux du groupe de Rupert Murdoch qui, le mois dernier, étaient encore mis en cause pour de scandaleuses pratiques d’écoute téléphonique, parlent aujourd’hui avec mépris de « l’absence de valeurs » de « la racaille ». Et applaudissent sans nuance aux interventions brutales de la police. Et, çà et là, il s’élève même des voix pour réclamer qu’on retire également les indemnités sociales et les logements sociaux à ceux qui auraient été condamnés à de peines de prisons dans le cadre des émeutes, ce qui ne manquerait pas d’en faire des délinquants pour le reste de leurs jours.

« C’est le capitalisme qui est à l’origine des émeutes »

« L’Occident capitaliste est en train de perdre ses plumes », me confiait-on récemment. Après les scandales politiques autour du magnat de la presse Rupert Murdoch, après la crise financière et la guerre qui s’est enlisée en Libye, on a droit maintenant aux émeutes au berceau même du capitalisme mondial : Londres. Bien des observateurs font remarquer que ce qui s’est passé en Grande-Bretagne peut également se passer dans n’importe quelle grande ville européenne. De telles émeutes sont en premier lieu des signes que cette crise a atteint la limite du supportable. Nous nous trouvons devant un choix : « le socialisme ou la barbarie », voilà qui devient de plus en plus clair et concret. Au lieu de défendre à tout prix le système qui provoque cette crise et ne parvenir ainsi qu’à accroître la misère, il serait plus que temps de chercher une autre issue.

Dans un communiqué, la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique, la WFDY, dont Comac, le mouvement des jeunes du PTB, fait également partie, condamne les émeutes criminelles. Mais la fédération dit en même temps que ces émeutes « sont le résultat direct du système économique capitaliste et de l’aliénation des jeunes en général ». La WFDY invite les jeunes Britanniques à exprimer leur colère de façon constructive et « à s’organiser afin de trouver la meilleure façon de changer leur pays, ce qui aura plus de chance de se produire en renversant l’ordre régnant et non en détruisant les biens publics et privés ».[13]


[1] The Guardian, 11 août.
[2] AFP et The Economic Times du 11 août.
[3] http://pennyred.blogspot.com/2011/08/panic-on-streets-of-london.html
[4]http://maptube.org/map.aspx?m=ol&s=bBHFGlAlRcsKCSaXwRjAplwcCnYMClA9&k=http%3A%2F%2Forca.casa.ucl.ac.uk%2F~ollie%2Fmisc%2Flondonriots_verified_20110809_1514.kml
[5] http://www.dewereldmorgen.be/artikels/2011/08/10/manchester-my-life-shit-anyway
[6] The Morning Star et De Standaard, 11 août.
[7] The Irish Times, 12 août.
[8] BBC, 8 juillet : « London woman granted legal bid over stop & search powers ».
[9] IPPC = Independent Police Complaints Commission.
[10] The Guardian, 8 août.
[11] The Guardian, 8 août et Proletarian, 9 août.
[12] Solidaire, 19 octobre 2010.
[13] The Morning Star, 10 août

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