Deux alliés des Etats-Unis dans leur principale zone de conflit, le Moyen Orient et l’Asie centrale, ont osé élever la voix contre l’administration actuelle en un bref laps de temps.
En premier lieu, Israël, qui a boudé la visite du vice-président Joseph Biden en annonçant sans préavis la construction de nouveaux établissements dans l’est de Jérusalem.
L’autre voix discordante est celle de l’Afghanistan, dont le président Hamid Karzaï, jusqu’ici l’homme de Washington dans cette guerre déboussolée, a réagi avec violence aux critiques formulées par Barack Obama lors de sa récente visite, contre la corruption gouvernementale.
Dans ce qui a été interprété comme une tentative de prendre ses distances par rapport aux forces d’invasion, Karzaï a soutenu que s’il y avait eu fraude aux dernières élections, c’était les Occidentaux qui s’en étaient chargés, nommément les observateurs des Nations unies et de l’Union européenne.
Ses réflexions sur la présence des troupes d’occupation ont laissé coi ses interlocuteurs : « Dans cette situation, c’est à peine s’il existe une différence entre invasion d’une part, assistance et coopération de l’autre. » Et d’ajouter que si les soldats étrangers sont perçus comme des envahisseurs et les soldats du gouvernement afghan comme leurs mercenaires, l’insurrection des talibans « pourrait devenir un mouvement de résistance nationale ».
Le sens même de la guerre en Afghanistan, qui a déjà suscité pas mal de polémiques, revient donc à l’ordre du jour. Aux déclarations de Karzaï s’ajoutent l’invitation qu’il a faite au président iranien Mahmoud Ahmadinejad et ses menaces d’alliance avec les talibans. On ne s’en étonnera pas : nombreux sont ceux, du côté étasunien, à voir dans le président afghan non pas une perspective de solution mais au contraire une complication supplémentaire.
On le sait : en matière de politique, ce qui fait surface n’est souvent que la pointe de l’iceberg dont le volume réel, dans le cas de l’Afghanistan, est incommensurable, puisque gonflé par des intérêts obscurs et inavouables. Les exemples ne manquent pas.
On attend toujours les résultats d’une enquête ouverte à la demande du Congrès étasunien sur la dénonciation, il y a quelques mois, d’un fait insolite : 10% des dépenses du Pentagone en contrats logistiques au profit de cette guerre aboutiraient aux mains des talibans.
C’est le célèbre journaliste Aram Roston, de The Nation, qui aurait levé le lièvre. Son article très documenté a ensuite été repris par d’autres Les révélations de Roston étaient pour le moins déconcertantes : « Des militaires des Etats-Unis à Kaboul estiment qu’au moins dix pour cent des contrats logistiques du Pentagone – des centaines de millions de dollars - consistent dans des paiements versés à l’insurrection. » A quoi des fonctionnaires afghans ajoutent : « C’est de là que provient la plus grosse part de leurs revenus. »
La dénonciation pourrait viser plusieurs coupables. Comme en Irak, des entreprises privées complètent la logistique militaire étasunienne et font ainsi de bonnes affaires. Roston détaille la participation à ce négoce de figures importantes de la famille Karzaï, dont certaines ont été liées, à une période ou une autre, aux talibans. Il évoque aussi le soutien apporté par ces entreprises à la création d’institutions qui s’occupent de faire monter la pression politique sur Washington.
Ainsi, fait aujourd’hui partie de la direction de la Campaign for a U.S.-Afghanistan Partnership, une institution de création récente qui fait du lobbying politique, un certain Ahmed Wardak, fils du ministre afghan de la Défense et président de NCL Holdings, une des principales sociètés privées associées à la guerre.
Ou encore Ahmad Rateb Popal, le traducteur du ministre des Affaires étrangères des talibans avant l’invasion de 2001, un homme que l’on voyait sur les écrans de télévision avec un turban noir, une barbe fournie et les traces de la guerre contre l’Union soviétique : une main et un bras difformes et un pansement sur l’œil. Popal, cousin du président Karzaï, contrôle aujourd’hui le Watan Group, un consortium spécialisé dans les télécommunications, la logistique et la sécurité.
Ces entreprises florissantes ont pour mission de protéger les convois d’armes et d’autres livraisons destinés aux troupes occidentales depuis le Pakistan jusqu’au territoire afghan. Ces convois empruntent des passages creusés dans l’imposante cordillère dominée par des tribus armées, des seigneurs de la guerre et des groupes de talibans.
« En fait, les sociètés en question ne protègent pas les convois destinés aux troupes des Etats-Unis. Pour la simple raison qu’elles n’en ont pas les moyens. Il leur faut la coopération des talibans », écrit le journaliste Bruce Wilson. Et Roston précise : « Le vrai secret du transport par camion est d’assurer le passage sur des routes dangereuses. Le cadre étasunien avec qui j’ai parlé a été clair et précis : ‘ L’Armée paye les talibans pour qu’ils ne tirent pas. Cet argent provient du département de la Défense’. Tout le monde confirme ses dires. »
Jean McKenzie, du Global Post, raconte qu’un agent de ces firmes dans la province de Helmand négociait avec un fournisseur local un chargement de canalisations à faire venir du Pakistan. Le fournisseur a facturé 30% de plus que le prix réel : une somme à verser aux talibans pour garantir que le chargement arrive à bon port.
La doctrine de la contre-insurrection de l’administration Obama a fait de l’argent une arme puissante, et ceci a servi à grossir le chiffre d’affaires des firmes sous contrat. Les transports routiers de NCL Hodings, assurent les journalistes, lui ont rapporté 2,2 milliards de dollars, soit 10% du produit intérieur brut de l’Afghanistan.
Au moment où ces données scandaleuses ont été publiées, le représentant John Tierney, président du Sous-comité de sécurité nationale et des relations extérieures, a informé qu’une enquête préliminaire avait permis de réunir assez de preuves pour lancer une enquête exhaustive
Mais l’enquête n’est toujours terminée, et on ignore si elle le sera un jour. NCL Holdings a intenté un procès à Aram Roston, indiquant que Wardak avait été informé des opportunités de contrats de transports routiers en Afghanistan par le site web consacré aux affaires fédérales du gouvernement des Etats-Unis.
Même les partisans de l’administration de Barack Obama multiplient les critiques contre la guerre. Quant aux troupes d’occupation, elles parcourent les chemins qu’ont connus d’autres armées et distribuent de coquettes sommes à leurs ennemis dans une guerre criminelle, impopulaire et inutile. •
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