Le professeur américain Norman Finkelstein est connu pour ses points de vue particulièrement tranchés sur l’occupation israélienne de la Palestine. L’an dernier, elles lui ont coûté son boulot…
La presse américaine parle généralement de vous comme d’un personnage à controverse, en raison de vos points de vue sur le conflit israélo-palestinien. Ce n’est pas votre avis…
Norman Finkelstein. Aux USA, défendre le point de vue du droit international suffit déjà à s’exposer à la « controverse ». Prenons un exemple simple. Généralement, le fameux « processus de paix » est déjà considéré séparément des négociations sur le statut final. Celles-ci ne seraient proposées uniquement qu’à la fin du processus, du fait qu’elles sont si compliquées et qu’elles sont une matière à controverse.
Généralement, dans ces négociations finales, on considère quatre points : 1) les frontières d’Israël et de la Palestine ; 2) le statut des colonies juives à Gaza et en Cisjordanie ; 3) le statut de Jérusalem-Est ; 4) l’avenir des réfugiés palestiniens.
Voyons maintenant ce que dit à ce propos le droit international. En juillet 2004, la Cour internationale de Justice (CIJ) à La Haye – la plus haute instance juridique au monde – condamnait non seulement la construction du mur de sécurité israélien sur le sol palestinien, mais elle s’exprimait également sur trois des quatre questions du statut final.
Et qu’a dit la CIJ ?
Norman Finkelstein. Exactement la même chose que moi. Primo, que les frontières sont clairement définies. Qu’il est illégal d’étendre son territoire en recourant à la guerre et que, partant, la Cisjordanie et Gaza, occupées par Israël depuis la guerre des Six-Jours (1967), ne font pas partie d’Israël. Secundo, que les colonies juives dans les territoires palestiniens sont illégales, d’après la quatrième convention de Genève et qu’elles constituent des violations flagrantes du droit international. Et, à propos de Jérusalem-Est, la CIJ a déclaré que cette partie de la ville avait été prise par Israël après la guerre de 1967 et qu’elle était donc un territoire palestinien, vu qu’il est illégal de s’approprier des territoires par la guerre.
En d’autres termes, trois des quatre questions finales sur le statut sont déjà résolues, en fait, par la décision de la CIJ. Cette décision était-elle matière à controverse ? Personnellement, je pense que non, à l’instar de la CIJ car, des quinze juges de la Cour, un seul a voté contre, le juge américain. S’il s’était agi d’une question à controverse, on se serait attendu à un vote de huit contre sept, voire de neuf contre six, mais pas de quatorze contre un…
Pourquoi, dans ce cas, nous répète-t-on tout le temps qu’il s’agit d’un problème vieux comme le monde et auquel il n’y a pas de solution ?
Norman Finkelstein. Les faiseurs d’opinion qui annoncent ce genre de chose ne veulent pas que les gens examinent les faits et voient qui bloquent coup après coup toute solution pacifique. Chaque année, les Nations unies votent à nouveau une résolution de solution au conflit sur base des points de départ que je viens précisément de décrire. Cette année, 161 pays ont approuvé cette résolution et 7 pays ont voté contre. Vous voulez savoir lesquels ? Les États-Unis, Israël, l’Australie, Nauru, Palau, la Micronésie et les îles Marshall. S’il s’agit d’un problème à controverse, comment ce vote peut-il être de 161 contre 7 ?
Pourtant, on vous traite très régulièrement d’antisémite et vos points de vue vous ont déjà coûté votre nomination de professeur à l’université DePaul.
Norman Finkelstein. On m’a déjà traité de tous les noms. On a même prétendu que feu ma mère, qui a survécu aux camps d’extermination, était une collaboratrice des nazis. Manifestement, certains voient des antisémites dans tous ceux qui critiquent Israël. Je ne suis pas le seul à qui on balance ce genre de reproches. Les défenseurs acharnés d’Israël ont d’ailleurs déjà taxé d’antisémitisme l’ancien président Jimmy Carter, Amnesty International, la BBC, les Nations unies et qui sais-je encore. Bref, tous ceux qui osent dénoncer les crimes israéliens. Ils en font un reproche dénué de contenu car, si on taxe le monde entier d’antisémitisme, on met du même coup à l’abri les véritables antisémites, aujourd’hui, une minorité marginale d’extrême droite.
Une solution que l’on propose souvent dans les cercles propalestiniens, c’est celle d’un État démocratique laïc où Palestiniens et Juifs cohabiteront. Qu’en pensez-vous ?
Norman Finkelstein. Je sais que nombre de personnes défendent cette idée mais je trouve qu’en ce moment, cela relève de la fantaisie politique. Personnellement, je suis pour un monde sans États mais la politique est selon moi l’art du faisable ou, pour reprendre les mots de Mao : « Unissez la majorité pour défaire la minorité. » Le monde a placé Israël dans une position minoritaire et les exigences officielles des Palestiniens dans une position majoritaire. Nous ne devons tout de même pas nous replacer dans la minorité ? La solution à un État sonne bien mais elle ne repose sur rien. Le plus important aujourd’hui, c’est la fin de l’occupation israélienne criminelle des territoires palestiniens. C’est aussi une illusion de croire qu’on peut tout résoudre avec une structure étatique. Prenons l’Afrique du Sud, ils ont aussi un État, mais encore des tas de problèmes.
Vous parliez il y a un instant de trois des quatre questions de statut. Il reste encore le problème des réfugiés palestiniens qui ne peuvent pas rentrer.
Norman Finkelstein. Chaque organisation des droits de l’homme dit que les réfugiés ont le droit de retour. Selon moi, ce problème peut être résolu en négociant. Permettez-moi de sortir une analogie. Quand j’ai été viré de DePaul, mon avocat m’a dit que j’avais deux choix, soit intenter un procès, qui allait durer au moins six ans, mais que j’allais gagner à coup sûr, soit négocier un accord et poursuivre ma vie.
J’ai opté pour l’accord, auquel j’ai posé deux conditions. Primo, DePaul devait reconnaître publiquement mes mérites en tant qu’universitaire et professeur et, par conséquent, reconnaître publiquement l’irrégularité de mon licenciement et, secundo, j’exigeais une compensation financière. Selon moi, les mêmes principes sont applicables au problème des réfugiés. Israël doit reconnaître qu’en 1948, il a mené une épuration ethnique contre les Palestiniens et proposer des compensations financières aux personnes qu’il a chassées.
A lire: Norman Finkelstein, Mythes et réalité du conflit israélo-palestinien, éditions Aden, 2007, 400 p., 25 euros.
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