dimanche 23 mars 2008

La Chine, le Tibet et le Dalaï Lama


Mondialisation.ca, Le 22 mars 2008
« L’Ernesto. Rivista Comunista », n° 5, novembre/décembre 2003

Célébré et transfiguré par la cinématographie hollywoodienne, le Dalaï Lama continue sans aucun doute à jouir d’une vaste popularité : son dernier voyage en Italie s’est terminé solennellement par une photo de groupe avec les dirigeants des partis de centre-gauche, qui ont ainsi voulu témoigner estime et révérence à l’égard du champion de la lutte de « libération du peuple tibétain».

Mais qui est réellement le Dalaï Lama ? Disons déjà, pour commencer, qu’il n’est pas né dans le Tibet historique, mais dans un territoire incontestablement chinois, très exactement dans la province de Amdo qui, en 1935, année de sa naissance, était administrée par le Kuomintang. En famille, on parlait un dialecte régional chinois, si bien que notre héros apprend le tibétain comme une langue étrangère, et est obligé de l’apprendre à partir de l’âge de trois ans, c’est-à-dire à partir du moment où, reconnu comme l’incarnation du 13ème Dalaï Lama, il est enlevé à sa famille et enfermé dans un couvent, pour être soumis à l’influence exclusive des moines qui lui enseignent à se sentir, à penser, à écrire, à parler et à se comporter comme le Dieu-roi des Tibétains, c’est-à-dire comme Sa Sainteté.


1. Un « paradis » terrifiant


Je tire ces informations d’un livre (Heinrich Harrer, Sept ans au Tibet, diverses éditions en français autour du film de J-J. Annaud, je reprends ici la notation des pages de l’auteur de l’article dans la version italienne du livre, chez Mondadori, NdT) qui a même un caractère semi-officiel (il se conclut sur un « Message » dans lequel le Dalaï Lama exprime sa gratitude à l’auteur) et qui a énormément contribué à la construction du mythe hollywoodien. Il s’agit d’un texte, à sa façon, extraordinaire, qui réussit à transformer même les détails les plus inquiétants en chapitres d’histoire sacrée. En 1946, Harrer rencontre à Lhassa les parents du Dalaï Lama, qui s’y sont transférés désormais depuis de nombreuses années, abandonnant leur Amdo natal. Cependant, ceux-ci ne sont toujours pas devenus tibétains : ils boivent du thé à la chinoise, continuent à parler un dialecte chinois et, pour se comprendre avec Harrer qui s’exprime en tibétain, ils ont recours à un « interprète ». Certes leur vie a changé radicalement : « C’était un grand pas qu’ils avaient réalisé en passant de leur petite maison de paysans d’une province chinoise reculée au palais qu’ils habitaient à présent et aux vastes domaines qui étaient maintenant leur propriétés ». Ils avaient cédé aux moines un enfant d’âge tendre, qui reconnaît ensuite dans on autobiographie avoir beaucoup souffert de cette séparation. En échange, les parents avaient pu jouir d’une prodigieuse ascension sociale. Sommes-nous en présence d’un comportement discutable ? Que non. Harrer se dépêche immédiatement de souligner la « noblesse innée » de ce couple (p. 133) : Comment pourrait-il en être autrement puisqu’il s’agit du père et de la mère du Dieu-roi ?


Mais quelle société est donc celle sur laquelle le Dalaï Lama est appelé à gouverner ? Un peu à contrecœur, l’auteur du livre finit par le reconnaître : « La suprématie de l’ordre monastique au Tibet est absolue, et ne peut se comparer qu’avec une dictature. Les moines se méfient de tout courant qui pourrait mettre en péril leur domination ». Ce n’est pas seulement ceux qui agissent contre le « pouvoir » qui sont punis mais aussi « quiconque le met en question » (p. 76). Voyons les rapports sociaux. On dira que la marchandise la plus bon marché est celle que constituent les serfs (il s’agit, en dernière analyse d’esclaves). Harrer décrit gaiement sa rencontre avec un haut- fonctionnaire : bien que n’étant pas un personnage particulièrement important, celui-ci peut cependant avoir à sa disposition « une suite de trente serfs et servantes » (p.56). Ils sont soumis à des labeurs non seulement bestiaux mais même inutiles : « Environ vingt hommes étaient attachés à la ceinture par une corde et traînaient un immense tronc, en chantant en cœur leurs lentes mélopées, et avançant du même pas. En nage, et haletants, ils ne pouvaient pas s’arrêter pour reprendre leur souffle, car le chef de file ne l’autorisait pas. Ce travail terrible fait partie de leur impôt, un tribut de type féodal ». Ç’aurait été facile d’avoir recours à la roue, mais « le gouvernement ne voulait pas la roue » ; et, comme nous le savons, s’opposer ou même seulement discuter le pouvoir de la classe dominante pouvait être assez dangereux. Mais, selon Harrer, il serait insensé de vouloir verser des larmes sur le peuple tibétain de ces années-là : « peut-être était-il plus heureux ainsi » (p.159-160).


Un abîme incommensurable séparait les serfs des patrons. Pour les gens ordinaires, on ne devait adresser ni une parole ni un regard au Dieu-roi. Voici par exemple ce qu’il advient au cours d’une procession :

« Les portes de la cathédrale s’ouvrirent et le Dalaï Lama sortit lentement (…) La foule dévote s’inclina immédiatement. Le cérémonial religieux aurait exigé que l’on se jetât par terre, mais il était impossible de le faire à cause du manque de place. Des milliers de gens se courbèrent donc, comme un champ de blé sous le vent. Personne n’osait lever les yeux. Lent et compassé, le Dalaï Lama commença sa ronde autour du Barkhor (…) Les femmes n’osaient pas respirer ».


La procession finie, l’atmosphère change radicalement :

« Comme réveillée soudain d’un sommeil hypnotique, la foule passa à ce moment-là de l’ordre au chaos (…) Les moines soldats entrèrent immédiatement en action (…) A l’aveuglette, ils faisaient tourner leurs bâtons sur la foule (…) mais malgré la pluie de coups, les gens y revenaient comme s’ils étaient possédés par des démons (…) Ils acceptaient maintenant les coups et les fouets comme une bénédiction. Des récipients de poix bouillante tombaient sur eux, ils hurlaient de douleur, ici le visage brûlé, là les gémissements d’un homme roué de coups ! » (p.157-8).


Il faut noter que ce spectacle est suivi par notre auteur avec admiration et dévotion. Le tout, ce n’est pas un hasard, est compris dans un paragraphe au titre éloquent : « Un dieu lève la mai, en bénissant ». Le seul moment où Harrer a une attitude critique se trouve quand il décrit les conditions d’hygiène et de santé dans le Tibet de l’époque. La mortalité infantile fait rage, l’espérance de vie est incroyablement basse, les médicaments sont inconnus, par contre des médications assez particulières ont cours : « souvent les lamas font des onctions à leurs patients avec leur salive sainte ; ou bien tsampa ( ? NdT) et beurre sont mélangés avec l’urine des saints hommes pour obtenir une sorte d’émulsion qui est administrée aux malades ». (p.194). Ici, même notre auteur dévot et tartuffe a un mouvement de perplexité : même s’il a été « convaincu de la réincarnation du Dieu Enfant » (p. 248), il n’arrive cependant pas à « justifier le fait qu’on boive l’urine du Buddha vivant », c’est-à-dire du Dalaï Lama. Il soulève la question avec celui-ci, mais sans trop de résultats : le Dieu-roi « ne pouvait pas combattre seul de tels us et coutumes, et dans le fond, il ne s’en préoccupait pas trop ». Malgré cela, notre auteur, qui se contente de peu, met de côté ses réserves, et conclut imperturbable : « En Inde, du reste, c’était un spectacle quotidien de voir les gens boire l’urine des vaches sacrées ». (p.294).


A ce point, Harrer peut continuer sans plus d’embarras son œuvre de transfiguration du Tibet prérévolutionnaire. En réalité, celui-ci est lourd de violence, et ne connaît même pas le principe de responsabilité individuelle : les punitions peuvent aussi être transversales, et frapper les parents du responsable d’un délit même assez léger voire imaginaire (p. 79). Qu’en est-il des crimes considérés comme plus graves ? « On me rapporta l’exemple d’un homme qui avait volé une lampe dorée dans un ces temples de Kyirong. Il fut déclaré coupable, et ce que nous aurions nous considéré comme une sentence inhumaine fut exécutée. On lui coupa les mains en public, et son corps mutilé mais encore vivant fut entouré d’une peau de yak mouillée. Quand il arrêta de saigner, il fut jeté dans un précipice » (p. 75). Pour des délits mineurs aussi, par exemple, « jeu de hasard » on peut être puni de façon impitoyable s’ils sont commis les jours de festivité solennelle : « les moines sont à ce sujet inexorables et inspirent une grande crainte, parce que plus d’une fois il est arrivé que quelqu’un soit mort sous la flagellation de rigueur, la peine habituelle » (p. 153). La violence la plus sauvage caractérise les rapports non seulement entre « demi-dieux » et « êtres inférieurs » mais aussi entre les différentes fractions de la caste dominante : on « crève les yeux avec une épée » aux responsables des fréquentes « révolutions militaires » et « guerres civiles » qui caractérisent l’histoire du Tibet prérévolutionnaire (la dernière a lieu en 1947) (p.224-5). Et pourtant, notre zélé converti au lamaïsme ne se contente pas de déclarer que « les punitions sont plutôt drastiques, mais semblent être à la mesure de la mentalité de la population » (p.75). Non, le Tibet prérévolutionnaire est à ses yeux une oasis enchantée de non-violence : « Quand on est depuis quelques temps dans le pays, personne n’ose plus écraser une mouche sans y réfléchir. Moi-même, en présence d’un tibétain, je n’aurais jamais osé écraser un insecte seulement parce qu’il m’importunait » (p.183). Pour conclure, nous sommes face à un « paradis » (p.77). Outre Harrer, cette opinion est aussi celle du Dalaï Lama qui dans son « Message » final se laisse aller à une poignante nostalgie des années qu’il a vécues comme Dieu-roi : « nous nous souvenons de ces jours heureux que nous passâmes ensemble dans un pays heureux » (happy) soit, selon la traduction italienne, dans « un pays libre ».


2. Invasion du Tibet et tentative de démembrement de la Chine


Ce pays « heureux » et « libre », ce « paradis » est transformé en enfer par l’ « invasion » chinoise. Les mystifications n’ont pas de fin. Peut-on réellement parler d’ « invasion » ? Quel pays avait donc reconnu l’indépendance du Tibet et entretenait avec lui des relations diplomatiques ? En réalité, en 1949, dans un livre qu’il publie sur les relations Usa-Chine, le Département d’Etat américain publiait une carte éloquente en elle-même : en toute clarté, aussi bien le Tibet que Taiwan y figuraient comme parties intégrantes du grand pays asiatique, qui s’employait une fois pour toutes à mettre fin aux amputations territoriales imposées par un siècle d’agression colonialistes et impérialistes. Bien sûr, avec l’évènement des communistes au pouvoir, tout change, y compris les cartes géographiques : toute falsification historique et géographique est licite quand elle permet de relancer la politique commencée à l’époque avec la guerre de l’opium et, donc, d’aller vers le démantèlement de la Chine communiste.


C’est un objectif qui semble sur le point de se réaliser en 1959. Par un changement radical en regard de la politique suivie jusque là, de collaboration avec le nouveau pouvoir installé à Pékin, le Dalaï Lama choisit la voie de l’exil et commence à brandir le drapeau de l’indépendance du Tibet. S’agit-il réellement d’une revendication nationale ? Nous avons vu que le Dalaï Lama lui-même n’est pas d’origine tibétaine et qu’il a été obligé d’apprendre une langue qui n’est pas sa langue paternelle. Mais portons plutôt notre attention sur la caste dominante autochtone.

D’une part, celle-ci, malgré la misère générale et extrême du peuple, peut cultiver ses goûts de raffinement cosmopolite : à ses banquets on déguste « des choses exquises provenant de tous les coins du monde » (p.174-5). Ce sont de raffinés parasites qui les apprécient, et qui, en faisant montre de leur magnificence, ne font assurément pas preuve d’étroitesse provinciale : « les renards bleu viennent de Hambourg, les perles de culture du Japon, les turquoises de Perse via Bombay, les coraux d’Italie et l’ambre de Berlin et du Königsberg » (p.166). Mais tandis qu’on se sent en syntonie avec l’aristocratie parasite de tous les coins du monde, la caste dominante tibétaine considère ses serviteurs comme une race différente et inférieure ; oui, « la noblesse a ses lois sévères : il n’est permis d’épouser que quelqu’un de son rang » (p. 191). Quel sens cela a-t-il alors de parler de lutte d’indépendance nationale ? Comment peut-il y avoir une nation et une communauté nationale si, d’après le chantre même du Tibet prérévolutionnaire, les « demi-dieux » nobles, loin de considérer leurs serviteurs comme leurs concitoyens, les taxent et les traitent d’ « êtres inférieurs » (p. 170 et 168) ?


D’autre part, à quel Tibet pense le Dalaï Lama quand il commence à brandir le drapeau de l’indépendance ? C’est le Grand Tibet, qui aurait du rassembler de vastes zones hors du Tibet proprement dit, en annexant aussi les populations d’origine tibétaine résidant dans des régions comme le Yunnan et le Sichuan, qui faisaient partie depuis des siècles du territoire de la Chine et qui furent parfois le berceau historique de cette civilisation multiséculaire et multinationale. C’est clair, le Grand Tibet représentait et représente un élément essentiel du projet de démantèlement d’un pays qui, depuis sa renaissance en 1949, ne cesse de déranger les rêves de domination mondiale caressés par Washington.


Mais que serait-il arrivé au Tibet proprement dit si les ambitions du Dalaï Lama s’étaient réalisées ? Laissons pour le moment de côté les serfs et les « êtres inférieurs » à qui, bien entendu, les disciples et les dévots de Sa Sainteté ne prêtent pas beaucoup d’attention. Dans tous les cas, le Tibet révolutionnaire est une « théocratie » (p.169) : « un européen est difficilement en mesure de comprendre quelle importance on attribue au plus petit caprice du Dieu-roi ». Oui, « le pouvoir de la hiérarchie était illimité » (p.148), et il s’exerçait sur n’importe quel aspect de l’existence : « la vie des gens est réglée par la volonté divine, dont les interprètes sont les lamas » (p.182). Evidemment, il n’y a pas de distinction entre sphère politique et sphère religieuse : les moines permettaient « aux tibétaines les noces avec un musulman à la seule condition de ne pas abjurer » (p.169) ; il n’était pas permis de se convertir du lamaïsme à l’Islam. Comme la vie matrimoniale, la vie sexuelle aussi connaît sa réglementation circonspecte : « pour les adultères, des peines très drastiques sont en vigueur, on leur coupait le nez » (p. 191). C’est clair : pour démanteler la Chine, Washington n’hésitait pas à enfourcher le cheval fondamentaliste du lamaïsme intégriste et du Dalaï Lama.


A présent, même Sa Sainteté est obligé d’en prendre acte : le projet sécessionniste a largement échoué. Et voilà apparaître des déclarations par lesquelles on se contenterait de l’ « autonomie ». En réalité, le Tibet est depuis pas mal de temps une région autonome. Et il ne s’agit pas que de mots. En 1988 déjà, tout en formulant des critiques, Foreign Office, la revue étasunienne proche du Département d’Etat, dans un article de Melvyn C. Goldstein, avait laissé passer quelques reconnaissances importantes : dans la Région Autonome Tibétaine, 60 à 70 % des fonctionnaires sont d’ethnie tibétaine et la pratique du bilinguisme est courante. Bien sur, on peut toujours faire mieux ; il n’en demeure pas moins que du fait de la diffusion de l’instruction, la langue tibétaine est aujourd’hui parlée et écrite par un nombre de personnes bien plus élevé que dans le Tibet prérévolutionnaire. Il faut ajouter que seule la destruction de l’ordre des castes et des barrières qui séparaient les « demi-dieux » des « êtres inférieurs » a rendu possible l’émergence à grande échelle d’une identité culturelle et nationale tibétaine. La propagande courante est l’envers de la vérité.


Tandis qu’il jouit d’une ample autonomie, le Tibet, grâce aussi aux efforts massifs du gouvernement central, connaît une période d’extraordinaire développement économique et social. Parallèlement au niveau d’instruction, au niveau de vie et à l’espérance moyenne de vie, s’accroît aussi la cohésion entre les différents groupes ethniques, comme confirmé entre autres par l’augmentation des mariages mixtes entre hans (chinois) et tibétains. Mais c’est justement ce qui va devenir le nouveau cheval de bataille de la campagne anti-chinoise. L’article de B. Valli sur La Repubblica du 29 novembre 2003 en est un exemple éclatant. Je me bornerai ici à citer le sommaire : « L’intégration entre ces deux peuples est la dernière arme pour annuler la culture millénaire du pays du toit du monde ». C’est clair, le journaliste s’est laissé aveugler par l’image d’un Tibet à l’enseigne de la pureté ethnique et religieuse, qui est le rêve des groupes fondamentalistes et sécessionnistes. Pour en comprendre le caractère régressif, il suffit de redonner la parole au chroniqueur qui a inspiré Hollywood. Dans le Tibet prérévolutionnaire, en plus des tibétains, et des chinois, « on peut rencontrer aussi des ladaks, des boutans (orthographe non garantie, NdT), des mongols, des sikkimais, des kazakhs, etc ». Les népalais sont aussi largement présents : « Leurs familles demeurent presque toujours au Népal, où eux-mêmes rentrent de temps en temps. En cela ils se différencient des chinois qui épousent volontiers des femmes tibétaines, et mènent une vie conjugale exemplaire ». (p. 168-9). La plus grande « autonomie » qu’on revendique, on ne sait d’ailleurs pas très bien si pour le Tibet à proprement parler ou pour le Grand Tibet, devrait-elle comporter aussi la possibilité pour le gouvernement régional d’interdire les mariages mixtes et de réaliser une pureté ethnique et culturelle qui n’existait même pas avant 1949 ?


3. La cooptation du Dalaï Lama en Occident et dans la race blanche et la dénonciation du péril jaune


L’article de Repubblica est précieux car il nous permet de cueillir la subtile veine raciste qui traverse la campagne anti-chinoise actuelle. Comme il est notoire, dans sa recherche des origines de la race « aryenne » ou « nordique » ou « blanche », la mythologie raciste et le Troisième Reich ont souvent regardé avec intérêt l’Inde et le Tibet : c’est de là qu’allait partir la marche triomphale de la race supérieure. En 1939, à la suite d’une expédition de SS, l’autrichien Harrer arrive en Inde du Nord (aujourd’hui Pakistan) et, de là, pénètre au Tibet. Lorsqu’il rencontre le Dalaï Lama, il le reconnaît immédiatement, et le célèbre, comme membre de la race supérieure blanche : « Sa carnation était beaucoup plus claire que celle du tibétain moyen, et par certaines nuances plus blanche même que celle de l’aristocratie tibétaine » (p. 280). Par contre, les chinois sont tout à fait étrangers à la race blanche. Voilà pourquoi la première conversation que Sa Sainteté a avec Harrer est un événement extraordinaire : celui-ci se trouve « pour la première fois seul avec un homme blanc » (p. 277). En tant que substantiellement blanc le Dalaï Lama n’était certes pas inférieur aux « européens » et était de toutes façons « ouvert aux idées occidentales » (p. 292 et 294). Les Chinois, ennemis mortels de l’Occident, se comportent bien autrement. C’est ce que confirme à Harrer un « ministre–moine » du Tibet sacré : « dans les écritures anciennes, nous dit-il, on lisait une prophétie : une grande puissance du Nord fera la guerre au Tibet, détruira la religion et imposera son hégémonie au monde » (p.114). Pas de doute : la dénonciation du péril jaune est le fil conducteur du livre qui a inspiré la légende hollywoodienne du Dalaï Lama.


Revenons à la photo de groupe qui a mis un terme à son voyage en Italie. On peut considérer comme physiquement absents mais bien présents du point de vue des idées Richard Gere et les autres divas de Hollywood, inondés de dollars pour la célébration de la légende du Dieu-roi, venu du mystérieux Orient. Il est désagréable de l’admettre mais il faut en prendre acte : tournant le dos depuis quelques temps à l’histoire et à la géographie, une certaine gauche se révèle désormais capable de ne plus s’alimenter que de mythes théosophiques et cinématographiques, sans plus prendre de distances même avec les mythes cinématographiques les plus troubles.


Publié dans « L’Ernesto. Rivista Comunista », n° 5, novembre/décembre 2003, p. 54-57.

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio


Articles de Domenico Losurdo publiés par Mondialisation.ca




samedi 22 mars 2008

La direction du Parti communiste examine les défis que la classe ouvrière canadienne devra relever en 2008

Rapport de la Réunion du Comité central du Parti communiste du Canada tenue le 8 et le 9 décembre 2007

Si, le plus souvent, le tourbillon d'activités politiques ralentit en décembre, ce n'est sûrement pas le cas cette année. Tous les regards du monde étaient tournés vers le Venezuela et vers la Russie le 2 décembre, puis vers Bali, où la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques allait débuter le lendemain. Ici même, au Canada, les principales nouvelles portaient sur les témoignages qui devaient avoir lieu à Ottawa relativement au scandale impliquant Karlheinz Schreiber, et, le 7 et le 8 décembre, sur la Réunion du Conseil des Travailleurs canadiens de l’automobile à Toronto, où la direction du syndicat avait adopté l’entente controversée avec l’entreprise Magna, malgré l'opposition farouche qui s’est manifestée tout au long d'une journée entière de débats.

Vers la même période, durant la fin de semaine du 8 et du 9 décembre, le Comité central (CC) du Parti communiste du Canada (PCC) a tenu sa seconde réunion de 2007. Les membres du CC ont également fêté le 90ème anniversaire de la Grande révolution socialiste d’Octobre 1917 dans la grande salle du Syndicat des métallos de Toronto.

La réunion du Comité central a débuté par le rapport sur la situation internationale et nationale, qui a été présenté par le leader du Parti, Miguel Figueroa. Ce document fait ressortir les récents événements survenus dans le cadre des luttes de classe tels que les mouvements de grève généralisée en France et en Égypte, et que la victoire de la campagne électorale menée en Australie qui a défait le premier ministre de droite John Howard.

Miguel Figueroa a souligné le fait que ces évènements surviennent dans un contexte de graves bouleversements au sein de l’économie des États-Unis, qui ont des répercussions dans le reste du monde.

«La crise des liquidités survenue en août aux États-Unis a d’abord été qualifiée de phénomène limité au marché local des hypothèques», a rappelé Figueroa. Mais les pertes dues à la contraction du crédit ont été évaluées à plus de 500 milliards de dollars, et le nombre de maisons saisies aux États-Unis a grimpé rapidement. Le statut du dollar états-unien continue de décliner et «l’arrivée d’une crise et d’une récession d’une certaine ampleur semble inévitable.»

Abordant la situation au Moyen-Orient, Figueroa a prévenu que les récentes négociations de paix ne seront fructueuses que si les conditions assurant une paix juste et durable seront instaurées dans la région, entre autres le retrait d’Israël de tous les territoires occupés, le démantèlement du "mur de l’Apartheid" et des colonies d’Israël en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza; la libération des prisonniers politiques palestiniens; le droit de retour des populations déplacées depuis 1948; la restitution de la partie Est de Jérusalem ou l’établissement d’une «ville ouverte» ayant une administration conjointe; et d’autres mesures permettant l’existence d’une Palestine viable, véritablement indépendante et souveraine.

Lançant un appel à la solidarité avec le people palestinien, Figueroa a souligné que «nous devons exiger que le dur virage pro-israélien que la politique étrangère canadienne a subi soit renversé».

Au sujet des troubles politiques qui secouent le Pakistan, Figueroa a indiqué que le Parti communiste appuie les revendications des forces progressistes de ce pays pour la pleine restauration des droits démocratiques et pour la tenue d'élections vraiment libres.

Figueroa a présenté les grandes lignes de la situation complexe de la Russie. Le parti «Russie unie» de Poutine a manipulé les élections du 2 décembre, obtenant ainsi plus de 64% des votes et 315 sièges à la Douma. Le Parti communiste de la Fédération de Russie s’est classé deuxième avec 11,6% des votes.

Le régime de Poutine, a dit Figueroa, «représente surtout les secteurs dominants de la bourgeoisie russe, qui ont constitué leurs fortunes en pillant les biens du peuple après le renversement du socialisme». Le gouvernement, a-t-il continué, «essaie, d’une part, d'être admis dans les cercles impérialistes et, d’autre part, de s’opposer à ce qu’il considère, avec raison, être les visées hégémonistes des États-Unis sur la Russie».

Au Venezuela, a poursuivi Figueroa, par un résultat très serrés du referendum sur les amendements constitutionnels du 2 décembre, la Révolution bolivarienne a subi un revers mais nullement une "blessure mortelle", contrairement à ce que prétend l’impérialisme états-unien. Le gouvernement proposait l’adoption d’une vaste série de mesures constitutionnelles progressistes, entre autres, la gratuité et l’universalité de l’éducation universitaire, la diminution de la semaine de travail à 36 heures et l’accroissement de l’importance des instances de «pouvoir populaire» basées sur la communauté et sur les «conseils de travailleurs».

Les résultats, a-t-il affirmé, «confirment l’analyse du Parti communiste du Venezuela» (PCV), qui a fourni un grand appui à la campagne du «Oui», tout en prévenant que certaines propositions étaient mal formulées. Selon le PCV, la Révolution bolivarienne se trouve actuellement à une étape principalement démocratique et anti-impérialiste.

Au sujet de la conjoncture du pays, Figueroa a signalé que le Canada sera durement frappé par la crise généralisée que connaît l'économie états-unienne, «particulièrement dans le secteur manufacturier, qui chancelle sous le coup de la désindustrialisation des dernières années». Depuis 2002, presque 300 000 emplois dans ce secteur ont disparu.

Alors que les taux officiels de chômage restent bas et que les exportations de marchandises augmentent, a-t-il dit, la chute de l'indice composite de dix importants indicateurs économiques depuis le début de l'année 2007 annonce des temps difficiles. La plupart des nouveaux postes vacants ont trait à des emplois mal rémunérés, temporaires et à temps partiel, et l'écart entre, d'une part, les riches et, d'autre part les travailleuses/eurs et les pauvres du Canada s'accroît rapidement.

Figueroa a souligné le fait que la croissance phénoménale du secteur énergétique dans l'Ouest du Canada aura «des conséquences très profondes et à long terme» sur les régions affectées, sur l'économie du pays et sur l'environnement. Cette question sera le sujet principal d'un rapport spécial qui sera étudié à la prochaine réunion du Comité central, qui devrait avoir lieu au printemps 2008.

En ce qui concerne la conjoncture politique fédérale, Figueroa a signalé le fait que «de nombreux facteurs ont changé depuis octobre» et que «dans le cercle intime de Harper tout air de supériorité a disparu». Le scandale Schreiber/Mulroney s’ajoute aux bilans catastrophiques des conservateurs relativement à l’environnement, à la “mission” militaire en Afghanistan qui n'avance pas, aux indices qui montrent le développement de la pauvreté, la perte d’emplois dans le secteur manufacturier, la détérioration de l’infrastructure urbaine, alors que les profits des grandes entreprises montent et s'affaissent comme les vagues d'une mer houleuse. Tels sont quelques-uns des facteurs qui ont placé les conservateur sur la défensive».

Dans son rapport, Figueroa dénonce avec véhémence les manifestations croissantes de racisme et de xénophobie dans l'ensemble du pays, et, entre autres, le tollé préparé de toutes pièces sur le vote des femmes voilées et le débat sur les "accommodements raisonnables" au Québec, qui est devenu une tribune pour des personnes intolérantes.

Une partie essentielle du rapport du Comité central est consacrée à la situation du mouvement ouvrier et syndical, a été présentée par Sam Hammond, président de la Commission syndicale du Parti (Voir des extraits de la page 6). Elle qualifie l'entente signée par la direction des Travailleurs canadiens de l'automobile (TCA) avec l'entreprise Magna Corp. d'«entente qui abandonne le droit de grève et qui remplace le système de représentation des travailleurs par eux-mêmes, basé sur la confrontation et propre à la tradition militante indépendante, par le système de partenariat au sein de l'entreprise, basé sur l'efficacité, la productivité et la collaboration entre les deux parties qui s'engagent à suivre le programme de l'entreprise».

Dans son rapport, Hammond souligne avec joie le fait qu'au cours du récent Congrès de la Fédération des travailleuses/eurs de l'Ontario, de profonds débats ont eu lieu au sein du mouvement ouvrier et syndical, et le fait que le «Caucus pour l'action», de gauche,. a augmenté son influence. Encourageant les syndicalistes communistes et de gauche à développer et la mobilisation, et le programme relativement à d'autres stratégies pour les travailleuses/eurs, Hammond a déclaré que les négociations de 2008 entre les TCA et les Trois grands fabricants d'automobiles constitueront un test crucial sur l'unité de la classe ouvrière, qui est engagée dans la lutte totale contre les concessions.

Le rapport principal s'est terminé par une vue d'ensemble sur toute cette année de travail consacrée à la construction du Parti communiste. Il souligne l'augmentation des demandes d'adhésion reçues par courriel, et la fondation de plusieurs nouvelles cellules du Parti. Figueroa a insisté sur le fait que «nous devons considérer la croissance du Parti comme étant la tâche la plus essentielle» pour l'avancement des luttes de classe et des luttes démocratiques. Il a présenté le plan de la campagne en vue du recrutement, de l'accroissement du tirage, de la diffusion et de la vente des publications du Parti, de l'amélioration de son site Internet et de la préparation aux élections fédérales si attendues en 2008. La campagne publique «Jetons les conservateurs de Harper dehors!», lancée par le Parti, se poursuivra en 2008, et de nouveaux matériaux publicitaires seront produits à cet effet en janvier.

Au cours des deux journées de réunion du Comité central, les 25 membres de ce dernier ont tenu des débats approfondis sur le rapport présenté, particulièrement sur la situation internationale et sur les développements au sein du mouvement ouvrier et syndical. Le rapport a été adopté unanimement, ce qui reflète le niveau élevé d'unité qui existe au sein du Parti sur les défis cruciaux auxquels font face la classe ouvrière et les mouvements démocratiques.

Un autre rapport crucial a été présenté au Comité central par Johan Boyden, dirigeant de la Ligue de la jeunesse communiste (LJC) sur le mouvement de la jeunesse et sur la LJC. Le Congrès central de 2007 du Parti a accordé une grande priorité au travail de construire la LJC et à l'aide que les camarades doivent y consacrer. La LJC poursuit le recrutement de membres et fonde de nouvelles cellules dans tout le Canada. Boyden a souligné le rôle grandissant que joue la LJC au sein du mouvement étudiant et de celui des jeunes travailleuses/eurs, entre autre dans le cadre des campagnes pour l'augmentation du salaire minimum et dans la lutte militante et déterminée que mènent les étudiants du Québec contre l'augmentation des frais de scolarité.

Le Comité central a également adopté une série de résolutions spéciales, entre autres un appel pour le rejet du projet de loi C-3 et pour l'élimination des soi-disant "certificats de sécurité" et de toutes les prétendues "lois anti-terroristes"; une déclaration condamnant les récentes manifestations anti-immigrantes et racistes; une demande pour qu'un procès juste soit tenu dans le cas du militant autochtone John Graham, qui vient d'être extradé aux États-Unis relativement à de fausses accusations d'assassinat; et une lettre à la Fédération des Métis du Manitoba exprimant la solidarité du Parti communiste du Canada envers elle contre les récentes décisions qui ont rejeté les revendications territoriales des Métis dans la région de Winnipeg.

Une autre résolution demande à toutes les cellules et à tous les membres du Parti de mobiliser la population pour qu'elle participe le 15 mars aux manifestations organisées à l'occasion du 5ième anniversaire de la guerre menée contre l'Irak sous la direction des États-Unis. La résolution souligne l'urgence d'accroître la participation des travailleuses/eurs à la campagne contre le rôle militaire du Canada dans l'occupation de l'Afghanistan et lance un appel à la constitution d'un grand contingent canadien, qui se rendra à la Conférence mondiale pour la Paix, qui aura lieu à Caracas, Venezuela en avril.

vendredi 21 mars 2008

NON AUX «CERTIFICATS DE SÉCURITÉ»! NON AU PROJET DE LOI C-3!

Résolution adoptée par le Comité central du Parti communiste du Canada les 8 et 9 décembre 2007

Le Parti communiste du Canada dénonce le projet de loi C-3 proposé par le gouvernement conservateur pour réintroduire les "certificats de sécurité", une des plus importantes procédures soi-disant "antiterroristes", qui violent les libertés civiles et les droits démocratiques au Canada.

En février, la cour suprême du Canada a établi à l'unanimité que les dispositions des "certificats de sécurité" enfreignent la Charte des droits et libertés du Canada. La Charte établit en effet que «toute personne a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité personnelle, et a le droit de ne pas en être privé à moins de l'être conformément aux principes fondamentaux de justice». Les "certificats de sécurité" permettent à l'État canadien une durée indéterminée des citoyens/ennes étrangères/ers en tant que "terroristes présumés" sans leur donner le droit d'entendre le procès mené contre eux. Après la décision de février 2007, la plupart des cinq hommes détenus en

vertu des "certificats de sécurité", Hassan Almrei, Mohammad Mahjoub, Mahmoud Jaballah, Mohamed Harkat et Adil Charkaoui , ont finalement été libérés du "Guantanamo du Nord", surnom donné au Centre de détention de l'immigration de Kingston, mais sous des conditions de libération extrêmement restrictives, entre autres des règlements onéreux de détention à domicile.

Malheureusement, au lieu d'abolir les "certificats de sécurité", la cour suprême a donné au Parlement un délai de un an pour adopter une procédure n'enfreignant pas la Charte. Huit mois plus tard, les conservateurs de Harper ont répondu aux exigences de la cour en ne faisant que le strict minimum pour protéger les droits judiciaires des personnes accusées. Le projet de loi C-3 créerait la catégorie des "avocats spéciaux", qui auraient le droit d'examiner les preuves secrètes contre des accusés et de demander à un juge la permission de rencontrer ces clients, mais qui n'auraient toujours pas le droit de dévoiler en détail les accusations portées. Agissant clairement dans le but de réduire toute opposition possible au projet de loi C-3, les conservateurs ont d'abord présenté ce dernier au sénat plutôt qu’à la chambre des députés, comptant sur le fait que plusieurs sénateurs libéraux veulent des mesures réduisant les droits civils et les libertés démocratiques.

Le Parti communiste du Canada se joints aux nombreuses autres organisations qui continuent de faire campagne pour mettre fin aux attaques de l'État contre les droits des immigrants et des citoyens étrangers vivant au Canada. Nous exigeons le retrait du projet de loi C-3 et l'abolition des "certificats de sécurité" sous quelque forme que ce soit car de telles mesures réduisent ou éliminent des droits de la personne et des libertés civiles pour les minorités racialisées de la société canadienne. Nous exigeons la levée immédiate de toutes les conditions imposées aux cinq détenus en vertu des "certificats de sécurité" et le respect de leur droit à des procès justes et ouverts. Nous demandons la cessation de toute procédure de déportation contre les cinq, des déportations de personnes à des lieux de torture et la fermeture du "Guantanamo du Nord".

Le gouvernement conservateur, appuyé par de nombreux libéraux, essaie de faire en sorte que la généralisation actuelle des violations des droits de la personne et des libertés civiles devienne la "norme acceptable". En transformant les citoyens de certains secteurs de la société en boucs émissaires, ce processus mine et affaiblit les droits de toutes et tous les citoyennes/ens du Canada, entre autres les travailleuses/eurs, les membres des nations autochtones, les immigrantes/ants et les autres groupes racialisés, ainsi que les personnes qui s'opposent aux politiques de droite mises de l'avant par les gouvernements néolibéraux pour servir les intérêts des grandes entreprises. N'ayez aucun doute que si les "certificats de sécurité" ne sont pas abolis, cette mesure draconienne s'étendra et permettra à l'État d'emprisonner arbitrairement des citoyennes/ens canadiennes/iens en vertu de preuves et d'accusations déclarées "secrètes".

Toute personne éprise de démocratie et de liberté a le devoir de résister à cette attaque. Nous demandons instamment à tous les partis siégeant au Parlement de rejeter le projet de loi C-3 en tant que tentative inacceptable de maintenir le régime des "certificats de sécurité". Si le Parlement adopte le projet de loi C-3, il faudra alors combattre en cour la loi adoptée comme étant contraire à la Charte des droits et libertés. Il est nécessaire, avant et pendant la période électorale attendue pour bientôt, de consacrer le maximum d'efforts pour dénoncer les députés et les sénateurs qui appuient le projet de loi C-3 et pour défaire les conservateurs de Harper, force dirigeante de cette attaque contre les droits civils et les libertés démocratiques.

Opposons-nous à la campagne raciste contre les immigrantes/ants

Résolution spéciale - Comité central, Parti communiste du Canada, le 8 et le 9 décembre 2007

Le Comité central du Parti communiste du Canada et le Comité exécutif national du Parti communiste du Québec sont profondément inquiets des récentes tentatives visant à susciter un climat de racisme et de haine contre les immigrantes/ants à travers le Canada. Plusieurs manifestations de cette campagne raciste se sont produites durant les récentes audiences de la Commission sur les "accommodements raisonnables" au Québec, dans l’affaire fabriquée de toute pièce concernant le vote de musulmanes et aussi lorsque qu’une minorité d’officiels de sports amateurs ont voulu bannir des athlètes qui portent un voile sur la tête pour des raisons religieuses.

De plus en plus, des points de vue racistes et hostiles aux immigrantes/ants sont mis de l’avant déguisés en défense du sécularisme et du droit des femmes à l'égalité. En vérité, de telles positions ne servent qu'à isoler et à marginaliser les groupes minoritaires, incluant les femmes de couleur, qu’on prétend protéger, en essayant de leur imposer les valeurs culturelles soi-disant supérieures de la majorité de la société.

Par exemple, aucun groupe musulman n'a demandé que des femmes voilées aient le droit de voter sans montrer leur visage (un droit existant déjà pour les Canadiennes qui peuvent voter par correspondance). Mais ce faux "problème" est utilisé pour cacher le véritable scandale à l’effet que les changements réalisés au cours des dernières années en matière de procédures et de règlements électoraux (tels que l'exigence nouvelle de montrer une pièce d'identité comprenant une photo et une adresse) ont créé une crise telle qu’un nombre pouvant aller jusqu'à un million de Canadiennes et de Canadiens pourraient ne pas pouvoir voter si des élections fédérales étaient déclenchées aujourd'hui. De même, il n’y a aucune raison logique de prétendre que le port d’un foulard sur la tête présenterait un quelconque danger pour des joueuses de «soccer» ou pour d'autres types d'athlètes et il n’existe aucun règlement contre cela dans la plupart des sports. Mais néanmoins, quelques arbitres et quelques juges de compétitions sportives ont quand même décidé de leur propre chef, de promouvoir la haine et les divisions en expulsant arbitrairement des compétitions les athlètes musulmanes.

Au Québec, le besoin urgent de dialogue à propos du racisme et du sexisme a été utilisé à mauvais escient par certaines/ains participantes/ants dans le cours des évènements autour de la Commission sur les "accommodements raisonnables", en faisant la promotion de concepts racistes selon lesquels les groupes minoritaires prétendument "arriérés" comme les Musulmans devraient adopter la "culture de la majorité (blanche occidentale)" et avançant l'idée fausse que la "raison" serait une propriété de l'État. En faisant du soi-disant "problème" d’un petit nombre de femmes voilées un objet de préoccupation, on détourne l'attention de l’influence perverse du racisme et du sexisme à travers toute la société. Les médias anglophones du Canada ont profité de ces manifestations de racisme au Québec, pour répandre l’idée erronée que l'idéologie raciste serait un problème exclusif du Québec considéré "arriéré". En fait le racisme existe bien ailleurs qu'au Québec. Soulignons par exemple cette réalité qui existe de longue date à travers tout le Canada de brutalité policière contre les peuples autochtones et contre les immigrantes/ants, ainsi que la non-reconnaissance des droits nationaux des peuples autochtones.

Le Parti communiste du Canada a de quoi être fier de sa longue histoire de lutte pour la séparation de l'Église et de l'État ainsi que pour sa position selon laquelle les fonds publics ne devraient pas être utilisés pour subventionner des systèmes d'écoles religieuses privées. Nous luttons pour des politiques qui permettent une plus grande inclusion et l’égalité au sein de la société canadienne des minorités opprimées et des femmes et nous nous portons à la défense de leurs droits. Nous considérons la montée de forces racistes et anti-immigrantes comme un phénomène extrêmement dangereux, qui ne peut que diviser les travailleuses/eurs et affaiblir notre résistance collective face aux attaques dirigées par les grandes entreprises contre les programmes sociaux et les droits à l'égalité. Au lieu de promouvoir l'égalité, les attaques contre la décision personnelle prise par certaines femmes de porter un foulard, un voile ou d'autres symboles religieux permettent davantage aux forces impérialistes de promouvoir la guerre et la répression.

Le Parti communiste du Canada et le Parti communiste du Québec presse le mouvement syndical et toutes les forces progressistes et démocratiques pour qu'ils organisent une campagne puissante et unifiée permettant de s'opposer à la campagne hystérique de haine et pour qu'ils exigent plutôt une action urgente afin de combattre les problèmes pressants de pauvreté, de violence, de criminalisation et de racisme auxquels font face les groupes minoritaires et les femmes de couleur au Canada aujourd'hui.

Appui de la YCL-LJC aux étudiant-e-s de l'UQAM

Young Communist League of Canada
Ligue de la jeunesse communiste du Canada

290 Danforth ave. Toronto, ON, M4K 1N6
Téléphone : 416-469-2446
Courriel : ycl_ljc@ycl-ljc.ca


À l'attention de l'Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ),

Chères amies,
Chers amis,

La Ligue de la jeunesse communiste se joint à votre organisation pour dénoncer la récente injonction émise par l'administration de l'Université du Québec à Montréal (UQÀM), qui interdit toute action politique sur le territoire du campus. Cette mesure constitue selon nous une attaque grave et dangereuse contre les droits civils et démocratiques des étudiantes/iants, ainsi qu'un bâillonnement scandaleux de la liberté d'expression et de la liberté académique sur le territoire du campus.

Les institutions d'enseignement sont censées nous donner à la fois les connaissances et les compétences analytiques nécessaires. La liberté d'expression et d'action des étudiantes/iants et des enseignantes/ants doit être considéré comme étant l'un des principes cardinaux de toute éducation démocratique et de qualité, tout comme l'accessibilité. Les attitudes paternalistes et hostiles adoptées par les administrateurs et par les gouvernements à l'égard des étudiantes/iants doivent être remplacées par la pleine reconnaissance des droits de la jeunesse et des étudiantes/iants, entre autres le droit à la liberté d'organisation, qui doit être exempte de toute restriction et de toute interférence venant de l'administration ou d'une entité externe.

Solidairement,

Comité exécutif central de la YCL-LJC
Le 17 mars 2008

jeudi 20 mars 2008

FIASCO DU CANADA À BALI – IL FAUT DÉFAIRE HARPER ET LES ÉCO-CRIMINELS MAINTENANT!

Déclaration du Comité exécutif central du Parti communiste du Canada adoptée le 15 décembre 2007

En résistant au progrès qui consiste à adopter un plan d’action mondial contre les changements climatiques catastrophiques, plan qui est d'une urgence critique, les conservateurs de Harper sont en train de donner rapidement au Canada la réputation mondiale d'être un pays dirigé par des éco-criminels. Il n’est, en effet, pas exagéré d’affirmer qu’en essayant de saboter la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, tenue à Bali du 3 au 14 décembre, le premier ministre Harper et le ministre de l’Environnement John Baird ont commis un grave crime contre l’humanité. Mais heureusement, dans un sursaut de colère généralisée, les Canadiennes/iens et les peuples du monde ont forcé Baird à retirer les objections formelles à l’appel lancé à la Conférence pour que les pays riches réduisent les émissions de gaz à effet de serre au cours de la prochaine décennie d’une quantité variant entre 25 et 40%.

La plupart des 190 pays représentés au Sommet de Bali y étaient venus pour établir une entente visant à mettre fin aux catastrophiques changements climatiques. Mais au lieu de coopérer à cette tâche historique, les conservateurs de Harper se sont rangés du côté des États-Unis, du Japon, de l’Arabie saoudite et d’un nombre réduit de pays afin d'empêcher la signature d’un accord en vue d’une réduction importante des émissions. Le Canada a même reçu le prix de pays "fossile" quant aux changements climatiques.

Bien qu’ils constituent un gouvernement minoritaire au Parlement et que les Canadiennes/iens et les autres peuples se manifestent contre leurs politiques, les conservateurs de Harper n’écoutent que les exigences des grands monopoles du pétrole et de l’impérialisme états-unien. La position de Harper est que le Canada refusera tout objectif important de réduction des émissions de gaz à effet de serre à moins que tous les pays développés et en voie de développement n’y participent. Cette attitude hypocrite est une ruse pour rejeter la responsabilité du Canada en cette matière sur d’autres pays. Le récent Programme de développement des Nations Unies montre que le Canada est un «cas extrême» illustrant le proverbe «Les grands diseurs ne sont pas les grands faiseurs», et que les Canadiennes/iens se classent au deuxième rang quant au bilan carbone par habitante/ant, immédiatement après les États-Uniens. De plus, à la dernière réunion du Commonwealth en Uganda, Stephen Harper a bloqué un projet d’accord demandant aux pays développés de respecter des limites aux émissions de gaz à effet de serre.

Les émissions augmentent rapidement dans certains pays en voie de développement, mais au cours des deux derniers siècles, ce sont les pays capitalistes développés qui ont été les grands responsables de ce problème, et ce sont eux qui en ont profité davantage. En appuyant l’exploitation maximale des sables bitumineux de l’Alberta et l’exportation de ses vastes ressources énergétiques vers les Etats-Unis, le gouvernement Harper enchaîne le Canada à la machine de guerre des Etats-Unis. Ces politiques assurent de gigantesques profits pour les grandes entreprises pétrolières mais ont des conséquences dévastatrices pour l’environnement et pour les travailleuses/eurs.

Après la conférence de Bali, par la manipulation médiatique au sujet des changements climatiques, le gouvernement Harper a continué de prétendre, de façon absurde, à la rencontre de l’«Asia Pacific Economic Conference» (APEC) tenue en Australie, que le Canada est un «leader mondial». En vérité, la "stratégie" des conservateurs sur l’augmentation de l’intensité énergétique, c’est-à-dire l’utilisation de moins d’énergie par unité de produit intérieur brut (PIB) alors que le PIB augmente ne réduira tout simplement pas les émissions de gaz à effet de serre.

Depuis le Sommet de l’APEC, l’électorat australien a défait le premier ministre australien John Howard, l’un des seuls alliés de Bush, parce qu’il en avait assez des mensonges et du refus d’agir face aux changements climatiques.

Stephen Harper doit également être défait! Le Parti communiste du Canada continuera de contribuer à mobiliser la résistance populaire contre les conservateurs et leur programme anti‑environnemental au service des grandes entreprises. Nous pressons les partis de l’opposition au Parlement de défaire Harper immédiatement pour que les électrices/eurs retirent immédiatement du pouvoir son gouvernement au service des grandes entreprises de pétrole.

Justice pour John Graham

Résolution spéciale adoptée par le Comité central du Parti communiste du Canada le 8 et le 9 décembre 2007

À leur dernière réunion, les membres du Comité central du Parti communiste du Canada ont dénoncé l’extradition du militant autochtone John Graham vers les États-Unis, survenue le 6 décembre, en tant que violation consternante des libertés civiles et des droits judiciaires, et que violation inacceptable de la souveraineté du Canada et de celle des peuples autochtones.

Au cours des quatre dernières années, John Graham, sa famille et ses défenseurs ont courageusement refusé de céder aux pressions du Bureau fédéral d’investigation (FBI), qui exigeait le transfert de ce militant aux États-Unis pour qu’il y soit jugé pour le meurtre brutal de Anna Mae Aquash, membre du Mouvement amérindien des États-Unis (American Indian Movement - AIM), commis en 1975. Au cours des années, il est devenu de plus en plus évident que les accusations portées contre John Graham ne reposent que sur des preuves fabriquées de toutes pièces, et que le FBI a malhonnêtement essayé de réfuter les accusations bien-fondées présentées il y longtemps, en essayant d'incriminer Anna Mae en faisant semblant de la protéger des regards des médias afin de répandre la fausse rumeur qu’elle avait été une agente de police, alors qu'en vérité, c'est le FBI qui est profondément impliqué dans mort tragique de cette femme.

Comme l’avaient averti un grand nombre d’experts judiciaires et de défenseurs des libertés civiles, les modifications apportées en 1999 par le Parlement aux lois canadiennes sur l’extradition adoptées ont pratiquement enlevé aux juges canadiens tout pouvoir de rejeter une demande d’extradition provenant des États-Unis. Les tribunaux canadiens n'ont en effet plus le droit d’exiger des preuves de culpabilité d'un degré minimal pour juger s'ils doivent ou non approuver une demande d’extradition, alors que ce droit est celui de tout pays souverain. Les avocats de l’accusation des États-Unis ont été incapables de présenter la moindre preuve crédible établissant un lien quelconque entre John Graham et le meurtre, mais les tribunaux de la Colombie britannique ont approuvé la demande d’extradition puis rejeté l’appel de Graham au début de cette année.

Depuis, le Comité de défense de John Graham et d’autres organisations exigent sans relâche du ministre fédéral de la Justice, Rob Nicholson, qu'il empêche l’extradition, et l’appel final a été envoyé à la Cour suprême du Canada. Il est tragique que celle-ci ait refusé cet appel le 6 décembre et, qu’en quelques minutes, sans lui donner la moindre possibilité de parler aux membres de sa famille, elle ait transféré John Graham de sa cellule de prison vers la frontière états-unienne. Par leur inaction délibérée, le ministre fédéral de la Justice Nicholson et ses collègues du gouvernement conservateur de Harper sont devenus complices de cette campagne criminelle que mène depuis plusieurs décennies le gouvernement des États-Unis et le FBI pour éliminer le Mouvement amérindien des États-Unis. Ils sont aussi complices que le gouvernement libéral en 1976, qui n'a rien fait pour empêcher l’extradition du Canada de Leonard Peltier, leader de l’AIM.

Maintenant que cette ignoble extradition a été exécutée, la campagne «Justice pour John Graham» a franchi une nouvelle étape. Le Parti communiste du Canada exige la tenue d’un procès équitable dans le cas de John Graham, ce qui a été refusé à Leonard Peltier, qui est injustement incarcéré depuis plus de 30 ans. Nous nous joignons aux personnes et aux organisations qui dénoncent le coup monté de la police raciste des États-Unis contre John Graham. Nous demandons aux mouvements syndicaux et démocratiques qui appuient les luttes des peuples amérindiens pour la justice et qui s’opposent à la destruction de la souveraineté du Canada et des peuples autochtones, de se joindre à cette lutte pour obtenir la libération de John Graham et de Leonard Peltier.

mardi 18 mars 2008

Le « Pacte des générations » s’exporte en Grèce

Solidaire, journal du PTB
Jeudi 13 mars 2008 : Baudouin Deckers et moi-même (du Bureau du PTB) atterrissons à Athènes. Le parti communiste de Grèce, le KKE, a organisé une rencontre de trois jours avec différents partis communistes, ouvriers et progressistes d’Europe sur le thème: « Le nouveau traité, les développements dans l’Union Européenne et les luttes populaires ».

Jo Cottenier

Immédiatement, nos camarades grecs nous invitent à une manifestation au centre ville. Elle est organisée par le PAME, un courant syndical, soutenu par le KKE. J’y retrouve son dirigeant national, Georgios Mavrikos, à qui je demande des explications sur ce qui se passe.

« Aujourd’hui le PAME organise dans toute la Grèce cinquante-neuf manifestations comme celle-ci, qui chaque fois rassembleront des milliers de travailleurs. Rien qu’à Athènes, on compte trois manifestations. L’enjeu de la lutte concerne les plans de réforme de la sécurité sociale par le gouvernement. De nouvelles lois, qui mènent à la destruction de nos droits sociaux. Par exemple, le gouvernement veut prolonger la carrière des travailleurs de la construction de 58 à 60 ans. En général l’âge de la retraite pour les femmes est de 60 ans. Mais les nouvelles lois les obligeront à travailler jusqu’à 65 ans. Le montant des pensions est également un enjeu important. »

Si je ne me trompe, cela fait déjà plusieurs mois que les travailleurs grecs sont en lutte… « Oui, nous avons eu une première grève générale le 12 décembre, une deuxième le 13 février. Hier, il y en a eu une troisième de quatre heures. Les services de la voierie en sont à leur deuxième semaine de grève, les banques, le secteur de l’électricité et d’autres encore sont en grève depuis plusieurs jours. Le 19 mars, nous appelons de nouveau à un jour de grève générale. Nous sommes conscients que ce ne sera pas facile, vu que l’Union européenne pousse le gouvernement à imposer cette régression sociale. Il a néanmoins déjà du apporter quelques petites modifications à ses plans sous l’effet de nos luttes. Mais le mécontentement populaire est immense et le combat continue donc. »

Entre-temps en effet, la place et les rues voisines se remplissent. Plusieurs milliers de travailleurs de tous âges se mettent en route, accompagnés de dizaines de grands calicots et banderoles, tandis que retentissent bien fort les revendications.



Nouvelle indépendance du Kosovo

par Georges Spriet

Mondialisation.ca, Le 18 mars 2008

Alerte Otan

Envoyer cet article à un(e) ami(e)

Imprimer cet article

La majorité de la population du Kosovo veut cette indépendance. L’occident a joué adroitement de cela. Voilà un nouveau pays sur la carte, qui ne deviendra pas membre de l’ONU à bref délai et qui a peu d’atouts pour être réellement autonome : troupes de l’Otan, Administration américaine, débâcle économique. Du fait que la séparation ne s’est pas produite par un accord réciproque et a été imposée à la Serbie, on a créé un dangereux précédent et on ignore les résolutions existantes des Nations Unies.

La Serbie a dû abandonner le contrôle de sa province du Kosovo en juin 1999, après 78 jours de bombardements par l’OTAN. Bien que cette guerre ait été menée en dépit des Nations Unies – le Conseil de sécurité n’a jamais donné son approbation -, l’organisation mondiale par la résolution 1244 a régularisé la situation en plaçant le Kosovo sous le contrôle des Nations Unies (MINUK) et en accordant à l’OTAN le droit de développer une présence militaire. Un processus politique était prévu dans le but de déterminer le futur statut du Kosovo, dans lequel « la souveraineté et l’intégrité territoriale » de la Serbie était garanti. La Serbie était donc une des deux composantes de ce qui restait encore de la République Fédérale de Yougoslavie.

Statut

La MINUK s’est tenue, pendant toutes ces années, à une ligne de conduite, dans laquelle des normes démocratiques devaient d’abord entrer en pratique avant qu’on parle du statut de la région : « d’abord les normes, ensuite le statut ». La plupart de ces normes n’ont jamais été atteintes. En ce qui concerne en particulier les droits humains il y a toujours des frictions (les non-Albanais sont chassés ou enfermés dans des ghettos) et une absence de justice (impunité totale pour les criminels de guerre et aucun dédommagement pour les méfaits commis).

En octobre 2005, le diplomate norvégien, Kai Eide, remit un rapport qui montrait un sinistre état des choses. Paradoxalement, il en conclut que désormais la détermination du statut devait prendre le pas sur les normes démocratiques. Mais cela n’a pas amélioré la situation. Au contraire, de lourds problèmes économiques sont venus s’y ajouter. Le Kosovo a, en effet, le taux de chômage le plus élevé de l’Europe1.

Les recommandations de Eide furent suivies par le gouvernement serbe et les autorités albanaises de Pristina et, en mars 2007, les négociations sur le futur statut du Kosovo ont commencé. Les deux parties avaient des positions radicalement opposées. Pristina ne veut entendre parler que d’une indépendance immédiate, Belgrade est résolue à accorder une grande autonomie au Kosovo, seulement sur base du respect des frontières serbes. Les négociations restèrent sans résultat. L’ONU avait envoyé un représentant spécial pour mener ce processus : le finlandais Martti Athisaari, qui avait déjà négocié en 1999, avec le président yougoslave de l’époque, Milosevic, la fin des bombardements et la résolution 1244. En mars 2007, Athisaari propose dans son rapport au Conseil de sécurité, d’accorder au Kosovo « une indépendance sous surveillance », proposition qu’il avait lui-même lancée en démarrant les négociations. Selon son plan, le Kosovo aurait tout d’un Etat indépendant, mais resterait sous l’occupation des troupes de l’OTAN, qui devraient également diriger la nouvelle armée kosovare. La MINUK serait remplacée par une administration de l’UE qui exercerait des fonctions d’« encadrement, surveillance et conseil » dans les affaires civiles et policières.

Séparation

Entre mai et juin 2007, la Russie s’est opposée à six projets de résolutions du Conseil de sécurité sur le plan Athisaari. Moscou soutient le principe qu’une solution ne peut être trouvée qu’avec l’assentiment des deux parties, et ne veut pas que Belgrade se voit imposer quelque chose unilatéralement. Surtout, Moscou pense qu’il n’y a aucune raison que cette approche de la question du Kosovo ne soit pas un précédent pour, par exemple, les « conflits gelés » de l’ex-URSS où différentes entités pro-russes seraient candidates à leur indépendance. Pour essayer de sortir de l’impasse, l’ONU mit sur pied une « troïka » avec les Etats-Unis, la Russie et l’UE, qui devrait mener les ultimes négociations et remettre un rapport le 10 décembre 2007 au secrétaire général .

Le 28 septembre 2007, les négociations entre Pristina et Belgrade recommencèrent, avec des étapes à New York, Vienne, Bruxelles. Aucun progrès ne s’est manifesté et les dirigeants albanais du Kosovo avertirent qu’ils allaient décréter leur indépendance sous peu, avec ou sans l’approbation des Nations Unies. L’UE et la Russie ne voulaient rien entendre, mais les Etats-Unis ont fait savoir qu’ils étaient prêts à trouver une solution en dehors de l’ONU et reconnaitraient un Kosovo indépendant.

Un bon nombre d’états membres de l’UE redoutent une « contamination sécessionniste », mais en général il y aurait un consensus pour reconnaître une indépendance « selon les règles », c'est à dire via une résolution de l’ONU. L’Espagne, la Roumanie, Chypre, la Slovaquie, expriment les plus grandes réserves quant à une déclaration unilatérale d’indépendance. Ils se réfèrent au droit international, ou rappellent leurs engagements à ne pas rompre les liens avec la Serbie, mais ils sont surtout préoccupés par les possibles conséquences dans leurs pays respectifs, où le pouvoir central doit affronter les sérieuses revendications indépendantistes de certaines régions, ou des situations de facto comme la Chypre turque.

Compromis ?

L’Allemagne a depuis des années une grande influence aux Balkans. En 1991, elle fut la première à reconnaître l’indépendance de la Croatie, qui a ouverte la voie à la guerre en Bosnie-Herzégovine. En 1996, les services secrets allemands ont armé l’Armée de Libération Kosovar (UCK). L’OTAN a rendu la Serbie responsable de la guerre de 1999, par le fait de sa riposte aux actions de guérilla de l’UCK. Depuis les accords de Rambouillet, les Etats-Unis sont les meilleurs amis de Pristina (avec entretemps, l’installation d’une énorme base au Kosovo, Camp Bondsteel). Mais l’Allemagne conserve des positions clés : c’est l’allemand Joachim Rucker qui a la direction de la MINUK. L’armée allemande, avec ses 2500 soldats, fait partie de la colonne vertébrale de la KFOR, et l’allemand Wolfgang Ischinger (ancien ambassadeur à Washington) est le représentant de l’UE dans la troïka2

En 2007, la position allemande est assez différente de celle des années 1990. Manifestement, on ne veut pas trop affronter la Russie. Berlin semble chercher un compromis. Au mois d’août, Ischinger annonça qu’il ne fallait pas exclure l’idée d’un éclatement du Kosovo, où le nord resterait en Serbie et le reste deviendrait indépendant. Washington et Pristina ont immédiatement rejeté cette idée, et Belgrade a averti qu’il n’était pas question de l’amputer de sa province. Cependant, l’idée continue à traîner, dans les cercles diplomatiques.

Il est frappant dans ce processus, que l’on ne tient pas ou très peu compte des positions serbes. Belgrade a présenté des plans très élaborés, qui unissent l’intégrité territoriale et l’autonomie, suivant le modèle de Hong Kong. Mais il est clair que, depuis les élections, Pristina ne veut rien d’autre que son indépendance totale à brève échéance. Cette position de l’Occident n’est certes pas nouvelle. (...)

Thaci3

Le nouvel homme fort du Kosovo, Hashim Thaci, n’est pas une personne irréprochable. Des documents d’Interpol et du Congrès Américain attestent les liens entre Thaci et le crime organisé. En mai 1999, le Washington Times a publié les conclusions suivantes : « Certains membres de l’UCK, qui financent sa guerre par le commerce de l’héroïne, ont été entraînés dans des camps terroristes sous la direction de Bin Laden en Afghanistan, mais également en Bosnie Herzégovine et ailleurs. Des terroristes islamistes combattraient aux côtés de l’UCK ». Hashim Thaci fut arrêté en juillet 2003 par Interpol, mais dut être relâché immédiatement sur l’ordre de la MINUK. Selon Vladan Batic, alors ministre serbe de la Justice, le Tribunal de La Haye pour la Yougoslavie aurait constitué un lourd dossier contre lui. Selon des communiqués de l’agence yougoslave de presse, Tanyug, Madeleine Albright, alors ministre des affaires étrangères des Etats Unis, aurait ordonné à Carla del Ponte, en avril 2000, d’effacer Hashim Thaci de la liste des suspectés de crimes de guerre. Celle-ci l’a fait en déclarant qu’il n’y avait pas assez de preuves contre Thaci pour l’accuser.

Droit International

Selon Olivier Corten de l’ULB, on ne peut pas invoquer le droit international pour reconnaître l’indépendance unilatéralement déclarée du Kosovo4. Il souligne tout d’abord que seuls les peuples vivant dans une situation coloniale ou postcoloniale peuvent invoquer le droit à l’autodétermination. Cela veut dire, des peuples vivant sur un territoire qui est géographiquement séparé de la métropole. Il n’existe pas de droit à la sécession pour des minorités qui vivent sur le territoire d’un Etat. Ceci est un principe généralement admis et incontesté.

Le deuxième point concerne la définition d’un Etat selon le droit international. Trois éléments sont nécessaires : un territoire, une population et un gouvernement souverain. Des entités sont devenues souveraines après que le vieil Etat central ait donné son accord (par exemple, le Bengla Desh, l’ex-URSS, les ex-républiques yougoslaves). Cette acceptation n’existe pas dans le cas du Kosovo. De plus la souveraineté du Kosovo est impossible sans l’OTAN. Le Kosovo n’est donc pas un Etat indépendant au sens où le droit international l’entend.

Un troisième point concerne la résolution 1244 de l’ONU qui parle d’autonomie du Kosovo dans le cadre de l’intégrité territoriale de République fédérale Yougoslave. Le plan Athisaari prévoit une indépendance sous surveillance. Mais ce plan n’a pas été couvert par l’ONU. La reconnaissance de l’indépendance autoproclamée du Kosovo est donc une affaire purement politique et ne peut en aucun cas relever du droit international. C’est ainsi que le professeur Corten conclut son analyse.

Conséquences

La déclaration unilatérale d’indépendance nie la résolution 1244 de l’ONU, dans laquelle l’intégrité territoriale de la Serbie était garantie. Si les Etats-Unis et l’UE ignorent cette résolution, ce sera un nouveau coup pour l’autorité de l’ONU. L’UE dit qu’elle va aider le Kosovo indépendant à construire un Etat de droit, mais elle le fait en foulant aux pieds le droit international. Un Etat est indépendant quand le reste du monde le reconnaît comme tel. Par exemple, le Punt land, au nord ouest de la Somalie, s’est autoproclamé indépendant, mais cela a été nié par la « Communauté internationale ». En étant reconnu par la plupart des pays membres de l’UE, par les Etats-Unis et le Canada, le Kosovo serait en meilleure position. Mais le point de vue de la Serbie et de la Russie est connu. Avec le droit de veto de la Russie au Conseil de sécurité le Kosovo deviendrait difficilement membre des Nations Unies.

D’autres conséquences et dangers vont surgir. On se demande quelle est encore la valeur d’une résolution de l’ONU ? Quelles contre-mesures sont préparées par Belgrade ? Comment va réagir la minorité serbe du Kosovo ? Et les pays voisins ? Les frontières des autres pays qui faisaient partie de l’ex-Yougoslavie seront-elles à nouveau contestées par les Albanais de Macédoine, les Albanais du Monténégro, les Croates et les Serbes de Bosnie Herzégovine ? Qu’en est-il de l’idée de la Grande Albanie ? Comme dit plus haut, la Russie pense que le Kosovo n’est pas un cas unique, et que ce dossier peut être un précédent pour d’autres problèmes territoriaux : Transnistrie, Abkhazie, Ossétie du sud, Crimée, etc..

« Failed State » organisé

L’Occident va donc reconnaître un Etat qui s’est constitué grâce aux bombardements de l’OTAN, grâce à l’épuration ethnique, avec des dirigeants qui ont des liens avec le crime organisé, grâce à la propagande, par la négation des résolutions de l’ONU, et par le refus absolu d’accepter le moindre compromis.5

La tutelle occidentale sur le Kosovo des 8 dernières années, ne peut hélas présenter un fantastique palmarès. Le Kosovo est en général considéré comme le territoire où le crime organisé peut opérer librement. L’épuration ethnique « inverse » d’août 1999, dont 200.000 habitants serbes et roms du Kosovo furent les victimes – peut être difficilement considérée comme de la bonne gouvernance et du respect pour les droits humains. Le Kosovo actuel est constitué de communautés entièrement séparées les unes des autres, où les minorités serbes et autres vivent dans des ghettos. L’économie ne produit presque rien, le marché noir est largement répandu. Le courant électrique est coupé pendant des heures chaque jour. Le chômage atteint 70% de la population. Si on y ajoute le fait que de nombreux dirigeants sont sous le coup de lourdes accusations de crimes de guerre, alors on a tous les ingrédients d’un « failed state », avant même que le territoire apparaisse sur les cartes comme un Etat indépendant. Tout cela malgré les milliards de dollars qui y ont été déversés depuis 1999.6

Cependant, les dirigeants occidentaux – après 8 ans d’échec de leur direction – se donnent le droit de poursuivre dans cette ligne. L’UE a déjà complètement préparé le remplacement de la MINUK. D’ici 4 mois, on va envoyer une mission au Kosovo avec plus de 2000 personnes pour remplir l’appareil juridique, administratif et policier : des juristes, des policiers, des secrétaires et des douaniers. Est-on sûr qu’ils parlent tous albanais ? Ou veut-on offrir aux Kosovars un puissant développement économique dans le secteur des traducteurs ? En tout cas, on semble convaincu que ce nouvel Etat n’a pas les possibilités de s’organiser par lui-même et qu’il aura pendant longtemps encore besoin des troupes de l’OTAN et du personnel de l’UE. A une autre époque n’aurions-nous pas appelé cela une colonisation annoncée ? Aujourd’hui on l’appelle indépendance.


Notes

1. Georges Berghezan : Kosovo, statut embourbé en terrain miné. Le drapeau rouge, décembre 2007 n°20
2. Idem
3. Michel Chossudovsky : Kosovo Prime Minister Hashim Thaci is part of a criminal syndicate. www.globalresearch.ca *
4. Olivier Corten : La reconnaissance prémature du Kosovo : une violation du droit international. Carte Blanche, Le Soir 20.2.08
5. Jan Oberg : Kosovo failed international conflict management. www.transnational.org
6. idem

* Lire l'article de Michel Chossudovsky en français: http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=8138


Articles de Georges Spriet publiés par Mondialisation.ca


Disclaimer: The views expressed in this article are the sole responsibility of the author and do not necessarily reflect those of the Centre for Research on Globalization.

To become a Member of Global Research

The Centre for Research on Globalization (CRG) at www.globalresearch.ca grants permission to cross-post original Global Research articles in their entirety, or any portions thereof, on community internet sites, as long as the text & title are not modified. The source must be acknowledged and an active URL hyperlink address to the original CRG article must be indicated. The author's copyright note must be displayed. For publication of Global Research articles in print or other forms including commercial internet sites, contact:
crgeditor@yahoo.com

www.globalresearch.ca contains copyrighted material the use of which has not always been specifically authorized by the copyright owner. We are making such material available to our readers under the provisions of "fair use" in an effort to advance a better understanding of political, economic and social issues. The material on this site is distributed without profit to those who have expressed a prior interest in receiving it for research and educational purposes. If you wish to use copyrighted material for purposes other than "fair use" you must request permission from the copyright owner.

To express your opinion on this article, join the discussion at
Global Research's News and Discussion Forum

For media inquiries:
crgeditor@yahoo.com

© Copyright Georges Spriet,
Alerte Otan, 2008

The url address of this article is:
www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=8383