Le 23 mai dernier la Commission Bouchard-Taylor a finalement publié son long rapport sur la question des « accommodements raisonnables ». Des fuites avaient déjà été rapportées par le quotidien anglophone montréalais The Gazette à l’effet que le rapport critiquait la majorité francophone du Québec pour son manque d’ouverture envers les immigrant-es et leurs coutumes. Les deux responsables de la Commission, Gérard Bouchard et Charles Taylor, s’en sont bien défendus et ont nié toute volonté de leur part d’accuser les Québécois-es dit « de souche » d’être les seuls responsables de la crise autour des fameux « accommodements raisonnables ». Néanmoins il n’en fallait pas plus pour déclencher l’ire d’une bonne partie du mouvement indépendantiste québécois qui y voyait, entre autres choses, une tentative de culpabiliser le peuple québécois pour son malaise identitaire.
Les audiences publiques tenues l’automne dernier à travers le Québec par la Commission Bouchard-Taylor ont en effet révélé l’existence d’une véritable crise identitaire au sein de la population québécoise qui se sent toujours menacée par son statut de minorité francophone dans une Amérique du Nord à très forte prédominance anglophone.
Suite à l’enflure médiatique qui a été faite autour de quelques demandes d’ « accommodements raisonnables » formulées par des groupes minoritaires ethniques et religieux, ces derniers ont été de plus en plus perçus par une certain nombre de Québécois-es comme une « menace » pour la survie de la culture et de l’identité québécoises. Comme si la présence de femmes musulmanes voilées ou de Sikhs portant le turban pouvait mettre en danger l’existence de la nation québécoise! Ou bien que le fait de permettre à des gens de s’intégrer à la société québécoise tout en conservant leurs coutumes et leurs rites religieux risquait de mener à l’assimilation du peuple québécois! C’est une démonstration éclatante de ce que Lénine appelait la mentalité étriquée de petite nation. Le nationalisme des petites nations a en effet tendance à faire preuve d’étroitesse et de repli sur soi face aux cultures et aux traditions nationales « étrangères » parce qu’il est généralement guidé par la peur de disparaître.
Le sentiment d’insécurité généré par l’oppression nationale historique du peuple québécois a été habilement exploité par des démagogues racistes et ultranationalistes qui y ont vu l’occasion rêvée pour stigmatiser les immigrant-es et faire la promotion d’une certaine « pureté » ethnique et nationale. L’Action Démocratique du Québec, populiste de droite et ultraconservatrice, s’est servie du débat sur les « accommodements raisonnables » pour remonter dans les sondages et gagner une certaine popularité après avoir connu un déclin sérieux.
L’ADQ fait ouvertement la promotion d’un discours nataliste, pour les femmes québécoises francophones bien sûr, et dénonce les quotas d’immigration du gouvernement Charest comme étant trop élevés! Malheureusement l’ADQ a réussi en jouant sur le malaise identitaire des Québécois-es à devenir l’opposition officielle lors des élections du 26 mars 2007, repoussant le PQ à la troisième place.
Il y a eu aussi le code de vie du village d’Hérouxville en Mauricie qui stipulait entre autres choses que la lapidation des femmes était interdite dans cette localité et que les immigrant-es avaient intérêt à se conformer aux « valeurs de la société québécoise qui les accueille si généreusement »! C’était une manière d’associer l’ensemble des musulman-es à des pratiques barbares qui ont cours dans un nombre infime de pays et d’encourager le développement de l’islamophobie qui est très présente en Occident depuis les attentats du 11 septembre 2001.
Suite aux dernières élections québécoises, le gouvernement libéral minoritaire de Jean Charest a décidé de mettre sur pied la Commission Bouchard-Taylor sur les « accommodements raisonnables ». Les audiences de cette commission furent marquées par des interventions racistes et intolérantes contre les minorités ethniques et religieuses injustement accusées d’abuser de notre soi-disant « trop grande tolérance et mollesse » à leur égard. Il y a eu également des témoignages d’immigrant-es sur les difficultés multiples qui parcourent leur existence au Québec, comme le taux de chômage élevé et la non-reconnaissance des diplômes professionnels « étrangers ». D’ailleurs le rapport Bouchard-Taylor aborde les conditions de vie des immigrant-es et la discrimination qui les confronte quotidiennement dans leur volonté d’améliorer leur sort.
Le problème du racisme qui est présent dans la société québécoise, comme dans toutes les sociétés occidentales, est très clairement démontré et expliqué dans ce rapport et fait voler en éclat les élucubrations des nationalistes radicaux à l’effet que les minorités ethniques et religieuses seraient traitées si généreusement au Québec! De plus, le rapport Bouchard-Taylor parle de crise des perceptions pour décrire le délire identitaire au sujet des « accommodements raisonnables ».
Contrairement à l’opinion largement répandue, il n’y a eu aucune augmentation des accommodements consentis par les autorités publiques pour satisfaire les groupes minoritaires ces dernières années. La thèse d’une société québécoise assiégée par des groupes religieux cherchant à imposer leurs valeurs et leurs traditions à la majorité est donc fausse de bout en bout. C’était essentiellement des faits divers, comme les vitres givrées du YMCA d’Outremont ou la fameuse histoire de la cabane à sucre de Mont St-Grégoire, qui ont été monté en épingle par les médias bourgeois dans le but de susciter le scandale et la haine entre les Québécois-es d’origine canadienne française souvent qualifiés de « souche » et les autres, les Québécois d’autre origine, les autochtones et les immigrant-es.
Nous pourrions même rajouter que toute cette crise fait partie de la tactique classique de la bourgeoisie de diviser la classe ouvrière pour mieux régner. En divisant ainsi les travailleurs et les travailleuses selon des lignes ethniques et religieuses, la classe dirigeante capitaliste est en meilleure position pour lancer ses attaques contres nos droits sociaux et nos conditions de vie et de travail et pour affaiblir tout mouvement unifié de riposte.
Tel que mentionné plus haut, une bonne partie du mouvement indépendantiste québécois a réagi très négativement au rapport Bouchard-Taylor. Jacques Parizeau a déclaré qu’il était bon pour la poubelle et que c’était normal que les immigrant-es aient un taux élevé de chômage durant les premières années de leur vie au Québec et qu’on ne pouvait rien faire contre ça! Il en a profité pour dénoncer vivement l’intention du gouvernement Charest de hausser le seuil annuel d’immigration du Québec de 40000 à 55000 au cours des prochaines années. On reconnait bien là le Jacques Parizeau du 30 octobre 1995 avec sa célèbre déclaration sur les « votes ethniques »!
De son côté, Bernand Landry a accusé les deux commissaires de vouloir culpabiliser les Québécois-es francophones et de faire preuve d’un supposé manque de courage en refusant d’interdire le port des signes religieux par les enseignant-es.
L’actuelle cheffe du PQ, Pauline Marois, a déclaré que le rapport faisait fi du malaise identitaire ressenti par nombre de Québécois-es, ce qui est complètement faux. Il est bon de rappeler ici que le PQ a déposé l’automne dernier un projet de loi sur la citoyenneté et l’identité québécoises qui préconise de retirer le droit d’éligibilité aux immigrant-es ne maîtrisant pas le français. Un bel exemple de nationalisme étroit et réactionnaire.
Le Parti Indépendantiste, crée à l’automne 2007 à cause de la volonté du PQ de mettre plus ou moins en veilleuse le projet souverainiste, a déclaré que le rapport Bouchard-Taylor est insultant pour le peuple québécois et que c’est aux immigrant-es de faire l’effort de s’intégrer à la société qui les accueille. Le PI n’hésite pas à afficher ouvertement ses tendances ultranationalistes et xénophobes et à décrire l’immigration « intensive et forcée » comme un danger pour la nation québécoise. Pas étonnant que l’ancien député bloquiste Ghislain Lebel, célèbre pour son racisme anti-autochtone, ait adhéré à ce parti!
Il faut par contre mentionner que Québec Solidaire, qui a une position en faveur de la souveraineté du Québec, a réagi favorablement au rapport Bouchard-Taylor, ce qui est une excellente chose. Les deux chefs du parti, Amir Khadir et Françoise David ont souligné la sagesse et l’ouverture d’esprit du rapport. Ils ont appuyé la proposition de permettre aux enseignant-es de porter le foulard islamique, ce qui a provoqué l’ire de certains éléments nationalistes de QS. Ils ont également salué les propositions pour faciliter l’amélioration du sort des immigrant-es.
Cet appui de QS pour le rapport Bouchard-Taylor a placé le groupe révisionniste trotskisant et ultranationaliste d’André Parizeau, qui prétend frauduleusement être le PCQ, dans une bien mauvaise posture. Il faut rappeler que Parizeau n’avait pas hésité à se joindre l’année dernière à la campagne hystérique contre le droit de vote des femmes musulmanes portant le niqab ou voile complet. Il avait alors dénoncé vivement notre position qui s’opposait à cette croisade raciste en se portant à la défense des lois québécoises supposément menacées par la soi-disant mollesse d’Élections Canada. Les parizionnistes veulent à tout prix être à la remorque des éléments les plus radicaux du mouvement indépendantiste québécois, n’hésitant pas à participer à une manifestation organisée par les Jeunes Patriotes du Québec ultranationalistes le 19 mai dernier. Ils ont alors diffusé un tract reprochant à bon nombre d’immigrant-es leur « refus » de s’intégrer à la société québécoise en choisissant l’anglais, ce qui selon leurs propres mots « a pour conséquence, à moyen et à long terme, de réduire le poids démographique et démocratique des francophones »! On croirait entendre la Société St-Jean-Baptiste de Montréal!
Mais comme le faux PCQ ne veut pas se couper de Québec Solidaire, ils ont commencé par appuyer la position des deux chefs en faveur du rapport BT, ce qui allait à l’encontre de ce qu’ils avaient précédemment dit sur la question des accommodements raisonnables, et suite à une réunion de leur Comité central ils ont commencé à émettre des doutes sur le bien-fondé de permettre le port du foulard islamique dans le milieu de l’éducation et de la fonction publique en général. Certains de leurs membres ont insisté sur la nécessité de défendre les « valeurs québécoises » de laïcité et d’égalité hommes-femmes, comme si ces valeurs étaient exclusives au Québec! On voit bien que le nationalisme étroit finit toujours par prendre le dessus chez les parizionnistes et que ces derniers veulent conserver à tout prix leur réputation d’indépendantistes « purs et durs ».
La position du Parti Communiste du Canada, dont le Parti Communiste du Québec (le vrai bien sûr) est la section québécoise, sur cette question des « accommodements raisonnables » est, comme nous l’avons mentionné dans la déclaration publiée dans le numéro 10 de Clarté, de défendre sans condition les droits des immigrant-es et de nous opposer à ce délire identitaire. Nous sommes contre l’interdiction du port des symboles religieux, comme le hidjab ou foulard islamique, car nous croyons que ce genre de mesures vise à semer la haine et la division et risque d’isoler davantage les personnes immigrantes du reste de la société. Nous sommes pour la séparation de l’Église et de l’État et pour une véritable laïcité mais sans pour autant interdire les croyances et pratiques religieuses. Nous ne voulons pas non plus que la laïcité devienne une arme pour propager le racisme et attaquer les droits des immigrant-es.
En tant que marxistes-léninistes, nous prônons l’égalité complète des langues et des nations partout à travers le Canada, ce qui est loin d’être la réalité présentement, et nous nous opposons à toute mesure discriminatoire contre les droits des minorités. Le Parti Communiste du Canada combat à la fois le nationalisme étroit du Québec et le chauvinisme de grande nation du Canada anglais, qui favorisent l’exclusivisme national et ethnique et qui briment les droits des différentes minorités linguistiques et nationales composant le Canada. C’est le seul programme susceptible de créer l’unité de la classe ouvrière partout à travers l’État canadien dans le but de vaincre l’offensive de la classe dirigeante capitaliste contre nos acquis sociaux et pour instaurer un Canada socialiste libre de toute discrimination et exploitation.
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