Free Van Doorslaer
D'importants changements sont en cours dans la législation salariale cubaine. À partir du mois d’août, tous les travailleurs seront rémunérés en fonction de leurs prestations, en d’autres termes, compte tenu de la qualité et de la quantité de travail presté par chacun. Auparavant, le principe du Perfeccionamiento Empresionarial (perfectionnement de l’entreprise) était déjà appliqué dans environ un tiers des entreprises, à présent il a été généralisé à toutes les unités de production du pays.
Le principe n’est donc pas vraiment nouveau ?
Katrien Demuynck. Pas vraiment. Il existait déjà pour la plupart des travailleurs un système de primes d’encouragement. Les bonnes prestations étaient récompensées en fin d’année par un colis supplémentaire, des bons d’achat valables dans les magasins CUC (les anciens magasins vendant en dollars, ndlr), une petite semaine de vacance dans un hôtel de luxe. Le salaire de la plupart des travailleurs était également déjà lié au résultat de l’entreprise. Ainsi, si l’entreprise obtenait un certain chiffre d’affaires, les travailleurs recevaient, par exemple, une augmentation de salaires de 5%. Ce qui est nouveau c’est que le système est individualisé. Chaque travailleur sera rémunéré sur base de sa prestation et non plus celle de l’entreprise. Ce qui entraînera des différences de salaires entre les travailleurs. En ce sens, on peut parler de rupture avec le passé. Pourtant ce système n’est pas non plus inopiné. Fin des années 1980 déjà, on l’avait expérimenté dans l’armée. Et cela fonctionnait. En 1997, après le 5° congrès du parti, ce principe a progressivement été introduit dans un certain nombre de secteurs. À présent, il est appliqué dans toutes les entreprises.
Pourquoi a-t-on introduit cette mesure ?
Katrien Demuynck. Après la chute de l’Union soviétique, l’économie cubaine a dû essuyer un coup dur : la production nationale brute a chuté de 35% et le pouvoir d’achat de la population a été réduit de moitié. Les Cubains étaient affligés. Il est difficile d’imaginer ce qu’ils ont pu endurer. Pour sortir de cette situation, le dollar a été autorisé, ce qui a donné naissance à un double circuit monétaire. Mais en raison de la forte dépréciation du peso par rapport au dollar, ce double circuit est devenu source d’inégalité. Les Cubains qui disposaient de dollars parce qu’ils avaient de la famille à l’étranger ou travaillaient dans des secteurs touristiques étaient mieux lotis que ceux qui n’avaient pas de dollars. Les services de base comme le loyer, l’énergie, le téléphone et un panier de biens rationnés, sont restés très bon marché et l’enseignement ainsi que les soins de santé sont restés gratis. Mais cela n’a pas empêché le salaire de diminuer, ce qui a entraîné une baisse de la motivation au travail et une augmentation de la corruption, ce qui à son tour a provoqué une baisse de l’efficacité et de la productivité. Telle était la situation dans les années 1990.
Cette mesure va-t-elle augmenter davantage les inégalités ?
Katrien Demuynck. À court terme, oui. Mais il ne faut pas exagérer. La grande majorité des entreprises sont aux mains de l’état. Ainsi, on ne doit pas s’attendre à ce que la tension salariale entre les travailleurs devienne trop importante. En fin de compte, c’est l’état qui déterminera jusqu’où ils iront. Pour les managers, le plafond a été fixé à 30% maximum. Des PDG avec des salaires exorbitants comme c’est le cas chez nous est un scénario tout à fait exclu. À moyen terme, cette mesure aura pour effet de renforcer la valeur du peso par rapport au dollar, ce qui réduira les inégalités entre les Cubains qui disposent de dollars et les autres.
Certains commentateurs décrivent cette mesure comme le début de la fin du socialisme.
Katrien Demuynck. Comme je l’ai dit, cette mesure a pour objectif de réduire les inégalités et augmenter le pouvoir d’achat de la population. Ce qui ne me semble pas du tout contraire au socialisme. Ici aussi il y a méprise. En effet, Marx faisait la différence entre communisme et socialisme. Dans la phase du communisme « chacun travaille selon ses capacités et chacun reçoit selon ses besoins ». Dans le socialisme, « chacun reçoit en fonction de son travail », et donc selon ses prestations. On peut donc dire que les Cubains ont reculé d’un pas. L’égalité des salaires était possible aussi longtemps que Cuba pouvait fonctionner dans le Comecon, l’accord de coopération économique avec l’Union soviétique et d’autres pays socialistes. Ces conditions favorables n’existent plus aujourd’hui et Cuba doit s’efforcer de rehausser sa productivité.
Pour beaucoup, cette nouvelle mesure est due au fait que Raúl serait plus pragmatique que son frère. Pour eux, Fidel ne l’aurait jamais adoptée. Quel est votre avis ?
Katrien Demuynck. Il s’agit là d’un pur cliché et cela ne tient pas debout. Regardez, les mesures les plus radicales comme l’autorisation du dollar, l’ouverture des magasins vendant en dollars, l’ouverture au tourisme de masse, l’organisation de marchés agricoles, etc., toutes ont été prises dans les années 1990, à l’époque où Fidel était président. Il est erroné de croire que les décisions gouvernementales à Cuba dépendent du tempérament du président. Tout comme dans les années 1990, les mesures prises aujourd’hui sont une réponse à la situation du moment. Il ne s’agit pas d’un tournant politique comme certains semblent le croire mais d’une réponse flexible et adaptée aux conditions actuelles. Ce fut le cas dans les années 1980 avec la rectification, dans les années 1990 avec la chute de l’Union soviétique et à présent avec la coopération avec le Venezuela, la Chine et le Brésil.
1 commentaire:
Pour connaître la réalité de Cuba (on y parle aussi de la modification des salaires), quoi de mieux que les paroles d'une cubaine qui défit les médias officiels - et uniques - depuis La Havane:
Version française:
http://desdecuba.com/generaciony_fr/
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